Le régime de Vichy : résistance et dissidence aux Antilles
Le 10 mai 1940, l’armée allemande attaque la France qui est envahie par le Nord. L’armée française, l’une des plus puissantes du monde est réduite à la défaite la plus totale. Le général Pétain signe l'armistice avec l'Allemagne, le 22 juin, 1940. Ainsi commence le régime de Vichy.
Photo de couverture : Le Comité Martiniquais de Libération Nationale lors de la manifestation interdite du 24 juin 1943. Crédit archives départementales.
Le régime de Vichy
et la résistance de la population antillaise
Une partie de la flotte française se dirige alors vers les Antilles. L'amiral Robert gouverne désormais la Martinique, alors que le gouverneur Constant Sorin s’installe en Guadeloupe. Ils n’ont de cesse d’appliquer implacablement et de façon dictatoriale les directives du gouvernement de Vichy.
Le ministre des Colonies en métropole, Henry Lémery, mulâtre martiniquais est renvoyé et remplacé par le secrétaire d’Etat et vice-amiral Platon qui organise la mise en œuvre du pétainisme en outre-mer.
En 1940 , les populations de la Martinique et de la Guadeloupe sont jusqu’alors des citoyens Français qui détiennent le droit de vote et délèguent leurs voix à des représentants à l'Assemblée nationale et au Sénat.
Le 1er juillet 1940, Paul Valentino (1902-1988), avocat mulâtre, déclare l'illégalité du régime de Vichy. Il est soutenu par les élus guadeloupéens. En Martinique, Victor Sévère (1867-1957) qui est alors député-maire de Fort-de-France, démissionne afin de marquer sa réprobation du nouveau régime. Tous deux participeront ensuite au ralliement des Antilles aux Forces Françaises libres.
L’application des mesures répressives s’accélère autant en Martinique qu’en Guadeloupe. Les élus insurgés comme Paul Valentino sont arrêtés, exilés et emprisonnés. La dissolution des conseils généraux est décrétée et la citoyenneté Française est enlevée aux antillais.
Les institutions judiciaires et policières prennent le tournant du tout répressif et s’attaquent aux sympathisants du gaullisme, aux francs-maçons, libanais, syriens, ainsi qu’aux juifs en recensant et confisquant tous leurs biens.
A partir du mois d’août 1940, les américains organisent un blocus empêchant les ravitaillements des denrées alimentaires afin de faire céder le régime de Vichy aux Antilles. Le système «D» et le marché noir remplacent fébrilement les liens commerciaux transatlantiques avec la métropole.
Les membres du clergé, les notables, les entrepreneurs, les fonctionnaires doivent prêter serment de fidélité à Pétain. L’alcool est prohibé et des fouilles sont imposées jusqu’à l’intérieur des domiciles pour la saisie des bouteilles de rhum.
La colère de la population donne place à la montée de la dissidence antillaise.
A partir de 1942, et plus particulièrement en janvier 1943, de nombreux jeunes martiniquais et guadeloupéens répondent à l’appel du Général de Gaulle de rejoindre les Forces Françaises Libres, se cachent afin de ne pas être pris par les garde-côtes pétainistes, montent sur de frêles embarcations pour des traversées incertaines vers la Dominique et Sainte-Lucie pour rejoindre les formations militaires au Canada, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Environ 2000 résistants dissidents Guadeloupéens ont rejoint la Dominique et un nombre équivalent de résistants dissidents Martiniquais ont rejoint Sainte-Lucie.
Liste des engagés vers New-York sur le navire Lacklan sous le commandement du Caporal Louis Anglionin (janvier 1943)
Résistance antillaise et chute du régime de Vichy
Dès Octobre 1942, le premier convoi de dissidents antillais part vers les Etats-Unis. D’autres convois les rejoignent durant les mois qui suivront.
Différents bataillons antillais furent créés et notamment le Bataillon Antillais n°1 dont nous pourrons suivre le parcours grâce aux documents mis à disposition.
Une base de données américaine (voir lien ci-dessous) met à disposition les noms des passagers ayant débarqué à New York entre 1820 et 1957. Grâce à un nom, il est possible de retrouver les noms de tous les individus ayant débarqué le même jour, faisant partie de la même unité, le nom du navire sur lequel ils ont voyagé ainsi que les caractéristiques du navire.
The Statue of Liberty―Ellis Island Foundation, Inc
Le Bataillon Antillais n° 1 est formé dans le camp Fort Dix, base militaire située dans le New Jersey, aux Etats-Unis. L’unité est placée sous le commandement du chef de Bataillon Dreanno.
Le 13 septembre 1943 , l’unité, rebaptisée du titre de Bataillon de marche des Antilles n°1 quitte le camp du Fort Dix. Elle Débarque à Casablanca le 12 octobre 1943, achève sa formation au camp d’El-Hajeb.
Durant cette année 1943, la répression continue à sévir en Martinique et en Guadeloupe particulièrement contre les Francs-maçons et les fonctionnaires. Des descendants de colons sont emprisonnés dont Emmanuel Rimbaud, Joseph de Reynal et Louis de Reynal envoyé dans la prison du Fort Napoléon (archipel des Saintes en Guadeloupe).
En avril 1943, le Comité Martiniquais de Libération Nationale est créé dans la clandestinité, sous l’impulsion de Victor Sévère, ancien maire-député de Fort-de-France et d’Emmanuel Rimbaud. Le comité déclenche une manifestation le 18 juin, date anniversaire de l’appel du Général de Gaulle. L’amiral Robert fait arrêter Emmanuel Rimbaud et Auguste Réjon.Victor Sévère est mis en résidence surveillée. Les manifestations de rue se succèdent et le 24 juin 1943, la foule grossit jusqu’à atteindre environ 10 000 personnes.
L’amiral Robert est obligé de négocier avec Hermence Véry. Ce dernier obtient la libération de Rimbaud, Réjon et Sévère. Le commandant Henri Tourtet qui dirige le camp de Balata intervient pour protéger la population des menaces de tirs de l’amiral Robert. Abandonné par l’armée, celui-ci part sur le croiseur Bertin.. Le 14 juillet, Henri Hoppenot (1891-1977) ambassadeur à New York, proclame le ralliement de la Martinique à la France libre. Robert quitte la Martinique pour Porto-Rico.
Le Bataillon des antilles n° 1 continue son périple. Après avoir passé la frontière algéro-tunisienne, en fin d’année 1943, il passe par Sousse. En janvier 1944, il est intégré à la Division des Français Libres (DFL).
Il participe à la campagne d’Italie – Débarquement à Naples le 3 mai 1944. Le 1er juin 1944, le BFA1 prend le nom de 21° Groupe Antillais de défense contre avions.
Il participe ensuite à la campagne de France – Débarquement à Cavalaire le 16 août 1944. Il passe par les hauteurs des Vosges et des montagnes de Bresse, en octobre et novembre 1944. Il participe aux attaques du Bataillon de Marche n°4 (BM4).
En Basse-Alsace du 3 au 19 janvier 1945. Participation à la défense terrestre d’Herbsheim du 7 au 10 janvier 1945. Région de Sélestat jusqu’au 7 mars. Mouvement vers Grasse du 15 au 20 mars. Déploiement du Groupe dans la région de Nice, Cap Martin (transports et occupation de forts pour la défense côtière) jusqu’au 5 mai puis région de Mougins du 5 au 8 mai 1945.
Le Bataillon antillais est dirigé vers Marseille le 21 septembre 1945 en vue de sa démobilisation et de son rapatriement sur les Antilles et est placé sous le commandement de Paul Lemerle.
La mutinerie du camp de Balata, menée courageusement par le commandant Henri Tourtet pour rallier la France combattante, est un épisode oublié de l’histoire alors qu’il a permis une libération de la population locale antillaise sans aucune autre intervention.
Le 25 juin 2009 lors d’une visite dans l’île, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République Française, rattrape plus de 60 ans d’oubli en accordant à certains dissidents antillais la Légion d’Honneur. Mais nombre d’entre eux ne sont toujours pas jusqu’à ce jour, totalement reconnus en tant que résistants.