Petites histoires et Grande Histoire : L'or de la Martinique

Publié le par Guy Stehlé

Petites histoires et Grande Histoire : L'or de la Martinique

"L'or de la Martinique" est tiré des Chroniques de Guy Stehlé, une petite histoire dans la grande histoire de la deuxième guerre mondiale, mais qui a eu son importance pour garantir les approvisionnements des Antilles et a sans doute sauvé la tête de l'amiral Robert en ne cédant pas ce trésor aux Allemands.

Les petites histoires font la grande histoire et sont si admirablement contées par Guy Stehlé que d'autres s'inscriront prochainement sur notre blog.

Aurore Holmes

L’Or de la Martinique

© Guy Stehlé - 03/11/1996

 

Je vous parlerais aujourd’hui de l’or de la Martinique.

Ne croyez pas que je veuille concurrencer le dernier roman de Marie Reine de Jaham (1) ou que je vais vous annoncer la découverte d’une mine d’or en ce beau département.

Plus simplement, l’actualité de ces derniers mois concernant l’or des nazis entreposé en Suisse et l’odyssée de l’or de la banque de Belgique volé par le régime hitlérien, m’incite à vous raconter comment ¼ de la réserve d’or de la banque de France a échappé à ce triste destin pendant la seconde guerre mondiale.

L’odyssée de cet or ne peut laisser indifférent, antillais et métropolitains, surtout ceux d’un certain âge, comme vous allez pouvoir en juger.

Au cours de la seconde guerre mondiale, peu avant l’armistice, le gouvernement français avait décidé d’évacuer vers le Canada 300 tonnes d’or de la réserve nationale pour qu’elle échappe aux allemands. Peu après, le 21 juin 1940, les relations entre le régime de Vichy et le Royaume Unis étant rompues, l’Amirauté Française demande au croiseur « Emile Bertin » de rallier Fort-de-France avec ce précieux chargement.

Le croiseur Emile Bertin
Le croiseur Emile Bertin

Le croiseur Emile Bertin

Les choses se présentaient mal et, ce même 21 juin, le commandant du croiseur télégraphiait à l’Amirauté : « Autorités Canadiennes me font savoir s’opposer à mon départ par ordre de leur gouvernement. J’ai informé ambassade Washington. Je prends vos ordres pour sortir par la force. Chances réussir une sur trois ».

Il faut dire que le Royaume Uni voyait politiquement d’un mauvais oeil le départ de cet or vers un territoire dépendant de Vichy et sans doute l’évasion d’un trésor que le gouvernement britannique aurait pu utiliser à des fins de financement de la guerre.

En définitive, sur intervention de l’amiral Robert, Haut-Commissaire des Antilles, en Martinique, l’amiral anglais Parvis, commandant en chef de l’Atlantique Ouest, convint de faciliter la sortie du Bertin.

En fait, au départ d’Halifax, le croiseur se vit escorter d’une manière si peu rassurante qu’à la faveur de la nuit et de sa grande vitesse il s’empressa de « semer » son escorte anglaise. Le 24 juin, l’Emile Bertin se présente dans la baie des Flamands. Les sacs de toile furent déchargés, l’or mis dans des caisses confectionnées à la hâte (plus de 8000 de 35 kg chacune) et stocké sous la garde de l’armée de terre dans les casernes du fort Desaix.

Fin du premier épisode.

John Wills Greenslade (January 11, 1880 – January 6, 1950)
John Wills Greenslade (January 11, 1880 – January 6, 1950)

John Wills Greenslade (January 11, 1880 – January 6, 1950)

Quelques mois plus tard, les 2 et 3 novembre 1940, l’amiral américain Greenslade se rend en Martinique pour « prendre quelques garanties au sujet de l‘or ».

Il faut dire que l’opinion publique américaine avait été alertée par des articles de presse émettant l’idée de prendre en charge cet or, « pour le rendre plus tard au peuple français ». Décidemment, cette fortune suscitait bien des convoitises ! Une autre hypothèse, également émise, plus plausible celle-là, d’où la venue de l’amiral américain, consistait à dire que l’Allemagne pourrait en exiger la cession à son profit. On susurrait même qu’il n’était plus déjà à la Martinique. Greenslade pût, de visu, s’assurer de sa présence. Jusqu’à la fin de 1941, cet or servira de garantie aux achats que les Antilles faisaient aux américains.

Fin du deuxième épisode.

Sur ces entrefaites, à la suite de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, l’Amérique entre en guerre et les relations avec les Antilles vichystes se détériorent.

Le 9 mai 1942, le successeur de Greenslade, l’amiral Hoover, accompagné d’un haut fonctionnaire du Département d’Etat, Mr Reber que Robert connaissait de longue date, l’ayant côtoyé à Londres dans les années 30, vient en Martinique pour mettre au point ses relations avec Robert. Il fut, entre autres, convenu que l’or serait immobilisé en Martinique.

Amiral Georges Robert (31 janvier 1875 - 2 mars 1965)

Amiral Georges Robert (31 janvier 1875 - 2 mars 1965)

Après la rupture avec les Etats Unis, fin avril – début mai 1943, le gouvernement de Vichy demande à Robert d’immerger l’or pour qu’il échappe aux anglais et aux américains, le tout, bien sûr, sur instigation de l’Allemagne. Robert se garde bien d’obtempérer et se livre alors au jeu du chat et de la souris avec Vichy et les occupants. Pendant près d’un mois il passe le problème sous silence dans ses échanges avec Vichy.

Finalement, sous la pression de l’armée de terre commandée par Tourtet et sous la révolte populaire, Robert décide le 1er juillet 1943 de quitter la Martinique et sollicite, par l’intermédiaire des américains, la venue d’un plénipotentiaire des forces françaises libres. On lui réitère alors, plusieurs fois l’ordre d’immerger l’or qui, lui dit-on « ne doit en aucun cas tomber entre les mains des américains ». Robert qui a toujours laissé l’or à Desaix, et Vichy et les allemands le savent, télégraphie le 5 juillet 1943 : « Les troupes de l’armée coloniale se sont mutinées. Ces troupes sont retranchées au camp de Balata, dans les casernes et au fort Desaix où se trouve l’or placé ainsi hors de mon contrôle ».

Les allemands ne sont pas dupes et le rapport de la Commission allemande d’armistice conclue que « l’or des Antilles ne serait probablement tombé entre les mains des ennemis [comprenez des gaullistes] si l‘amiral Robert l’avait soustrait en temps à l’emprise de 65 l’ennemi comme le gouvernement allemand l’avait demandé antérieurement et à maintes reprises ».

L’envoyé de De Gaulle, Henri Hoppenot déclarera d’ailleurs le 29 juillet 1943, dans son message aux conseillers généraux : « Je manquerais à mon devoir d’homme et de Français si je ne rendais pas à l’Amiral Robert ce double témoignage qu’il a inflexiblement maintenu pendant trois ans la souveraineté française entière et inviolée sur ces îles et qu’à l’heure des suprêmes décisions résistant aux ordres répétés que Berlin lui faisait transmettre par Vichy, il a remis une réserve d’or et une flotte intacte à l’autorité française à laquelle il cédait la place ».

Fin du troisième épisode et libération des Antilles.

Jusqu’en 1945, l’or reste sagement entreposé au même endroit jusqu’à ce que le croiseur « Montcalm » le ramène en France ayant ainsi échappé aux allemands.

Il est probable que cette action a contribué à tempérer la décision de la Haute Cour de justice lorsqu’elle a jugée l’amiral Robert qui, sans doute aucun, avait mené la vie dure aux Martiniquais qui en ont gardé un fort mauvais souvenir.

Cette histoire intéresse aussi les concitoyens de métropole car cet or a servi de garantie lors des prêts consentis à la France dans le cadre du Plan Marshall pour contribuer à la reconstruction de la France.

 

(1) Roman intitulé : « L’or des Iles ».

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article