La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

Publié le par Aurore Holmes

La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

La Martinique, appelée "L'île de l'intrigue", est devenue un enjeu stratégique pour les Etats-Unis, bien avant son entrée en guerre. Une période d'attentisme a eu pour conséquence des pertes humaines importantes et des destructions majeures de leurs flottes navales et aériennes.

Un document inédit dont nous proposons la traduction ci-dessous, écrit par un officier supérieur de la Marine américaine,

le Commandant C. Alphonso Smith,

démontre la place prépondérante occupée par la Martinique durant la seconde guerre mondiale. Dans cet article, sont mis en valeur, la beauté de l’île, mais aussi et surtout le port de Fort de France, offrant une position centrale et un accès aisé pour tous gabarits de navires dans une zone maritime vaste, aux lignes de navigation joignant les îles, l’Amérique centrale, du sud et des Etats-Unis. La Martinique était devenue durant la seconde guerre mondiale un site d’opérations primordial. Ce récit parsemé d’anecdotes, telles celle du rhum gasoline, donne la vision très particulière et militaire d’un Américain et révèle l’ingéniosité, le courage et la solidarité des martiniquais en temps de guerre.

Du point de vue esthétique, sécuritaire et stratégique, la Martinique a toujours été appréciée pour sa beauté, ses baies généreuses et son relief protecteur spécifique. En cela, ces écrits rejoignent notre article précédent intitulé « Les Etats-Unis pourraient-ils acheter la Martinique et la Guadeloupe ». Dans les périodes où des puissances comme la Chine, les Etats-Unis et la Russie font surgir leurs muscles, où les enjeux économiques et militaires dépassent les considérations idéalistes démocratiques, certaines positions géographiques attisent des intérêts non négociables.

La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

La Martinique dans la IIe guerre mondiale

Par le Commandant C. Alphonso Smith,

U. S. Naval Reserve

Février 1955 (Proceedings Vol. 81/2/624)

 

De nombreuses rumeurs, transmises par écrit ou oralement, circulaient sur la Martinique dès les premiers jours de la deuxième guerre mondiale et bien plus que tout autre sujet. On constatait une harmonie générale sur cette petite musique disant que les sous-marins allemands étaient ravitaillés en fuel dans les Antilles Françaises et que ces îles très connues constituaient un centre d’activités d’espionnage nazi. La conséquence évidente fut que l’Américain moyen pensait – et pense encore – que nous avions été assez naïf, et là nous sommes indulgents, pour ne pas s’emparer des îles et en finir avec cela une bonne fois pour toute.

Cet article essaiera d’établir une vérité historique sur la Martinique. Il est écrit par quelqu’un qui était présent durant la période la plus critique en raison de nos efforts pour éviter une invasion des îles, ce qui aurait soulevé des suspicions d’impérialisme sur les territoires en situation de faiblesse de l’Amérique centrale et du sud. Il s’agit d’une histoire qui n’a jamais été racontée et il est sans doute grand temps que la vérité soit faite afin de rendre justice à la marine et au Département d’Etat des Etats-Unis.

La Martinique est une île luxuriante et montagneuse dont la beauté ne peut être contestée. Elle est située à 3 300 kilomètres (2 002 miles) du Sud de New York et à 763 kilomètres de San Juan, Puerto Rico, siège du dixième district naval. Elle s’étend entre les îles Britanniques à la beauté équivalente, la Dominique pluvieuse au nord et Sainte-Lucie, « perle des Caraïbes », au sud.

Bien avant le déclenchement de la seconde guerre mondiale, la Martinique était célèbre par son histoire, en raison de la pire des catastrophes naturelles qui ne soit jamais survenue dans l’hémisphère ouest. Le 8 mai 1902, la Montagne Pelée, la plus haute montagne de l’île, est entrée en éruption, déversant une lave destructrice sur la capitale de Saint Pierre, tuant 35 000 personnes en une nuit. Des désastres de types différents frappent la Martinique de façon assez régulière. Des cyclones, des raz de marée, des tremblements de terre, des éruptions volcaniques, des incendies, des famines, de la sécheresse prennent leur tour dans une forme sans cesse changeante.

L’autre cause de la renommée de La Martinique est Joséphine, l’épouse de Napoleon Bonaparte qui naquit là-bas. Une statue de Joséphine a été érigée à Fort de France pour un fier mémoriel de la citoyenne la plus distinguée de l’île.

La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

Fort de France est la raison pour laquelle la marine des Etats-Unis était intéressée d’une manière vitale à cette île des Antilles françaises. Le mouillage des navires américains (version de 1942) pouvait se faire entièrement dans les eaux calmes de la baie. Le port a une superficie de trente quatre kilomètres carré avec de hautes montagnes formant un demi-cercle protecteur autour de lui. L’entrée est large et profonde. A l’intérieur on a de nombreuses anses et criques avec suffisamment de profondeur d’eau pour les bateaux de toutes tailles. Fort de France était le Gibraltar potentiel des Caraîbes. Il [Le port] a des avantages naturels et de nombreuses facilités fabriquées par l’homme qui lui permettent de devenir l’une des bases les plus belles du monde. Sans pratiquement aucun développement, les navires, les sous-marins et les avions pouvaient opérer facilement à partir de ce port pour contrôler les voies de navigation dans la région des Caraïbes. Il n’était donc pas étonnant que la marine américaine soit déterminée de ne laisser aucun accès à une quelconque puissance ennemie.

Tant que la France restait en guerre, la Martinique ne semblait pas avoir une place d’une grande importance. L’île continuait de recevoir une abondance de marchandises des Etats-Unis et la vie continuait ainsi dans une routine tranquille et imperturbable.

Mais lorsque la France a dû capituler devant l’Allemagne, le 20 juin 1940, les événements commencèrent à survenir d’une façon rapide et erratique. La Martinique fut soudain et brusquement secouée de sa léthargie. Il devait se passer de nombreuses années avant que l’île ne puisse retourner à la nonchalance que l’on attribue généralement à la vie dans les tropiques.

Au moment de la défaite de la France, le croiseur Emile Bertin, fierté de la marine française, naviguait sur les hautes mers pour rejoindre son pays d’attache, avec à son bord, une cargaison vitale de 384 millions de dollars, sous forme de lingots d’or destinés à renforcer les finances du gouvernement français. Son capitaine fit un virage vers le sud pour foncer en direction de Fort de France où il arriva le 22 juin. Deux jours plus tard, l’unique porte-aéronef français, le Bearn s’engouffrait dans le port, avec à son bord 106 avions chasseurs, des Brewster Buffalo et des Curtiss, construits aux Etats-Unis. En juste quelques jours, la flotte de guerre de la Martinique dénombrait dix vaisseaux totalisant 70 000 tonnes. Dans les environs du port, étaient également disséminés six tankers en bon état et neuf autres navires marchands d’un total approximatif de 80 000 tonnes, étant donné que tous les bateaux français de l’hémisphère ouest cherchaient refuge dans cette colonie historique.

Navires de guerre USA

Navires de guerre USA

Dès la défaite française, les Etats-Unis et la marine US ont commencé à montrer un très vif intérêt pour la Martinique. Cet intérêt se cristallisa plus tard sur les destroyers usagés destinés aux conventions de bail. La marine ne perdit pas de temps pour établir une base à proximité de Sainte Lucie.

Mais la première tentative fut faite par les Britanniques. Le 23 juin – juste trois jours après l’armistice – une mission Britannique, dirigée par le Gouverneur de Trinidad, arriva avec deux croiseurs et tenta, sans aucun succès, de pousser l’amiral Robert (un amiral retraité âgé de 68 ans rappelé à un service actif) à détourner le contrôle administratif des Antilles Françaises au bénéfice des Britanniques. L’amiral Robert qui portait également le titre de Haut Commissaire pour les Antilles Françaises – la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane Française – était sous les ordres du maréchal Pétain qui lui-même était sous les ordres de Pierre Laval qui obéissait à Hitler, et la réponse fut un Non catégorique.

Dix jours après, les Britanniques attaquèrent la flotte française à Oran pour l’empêcher de passer dans les mains des Allemands. Plusieurs navires de guerre français furent coulés et de nombreux Français tués. Cela mit fin à toutes chances d’accord avec l’amiral Robert.

Les Britanniques ont ensuite monté un blocus durant six semaines, avec trois bateaux de guerre, au large de la Martinique.

A ce stade des opérations, la marine US entra en action, avec réticence, pour tenir le centre de la scène pendant deux années. Le contre-amiral John W. Greenslade de la marine américaine, arriva à Fort de France, en août, avec un traité de quatre points que l’amiral Robert devait signer. Il était requis des Français :

  1. De garantir que les bateaux de la flotte navale, alors en Martinique, ne quittent pas les Antilles.
  2. D’avertir le gouvernement américain en amont, dans le cas où n’importe quel navire devrait se déplacer à l’intérieur des eaux des Antilles Françaises.
  3. De recevoir un observateur de la marine US à qui il serait accordé toute facilité pour une inspection et une observation.
  4. De rendre les 106 avions américains amenés par le porte-aéronef le Bearn.

L’amiral Robert donna son accord sur les trois premières propositions mais rejeta la quatrième sur la base que cela constituait une violation de l’armistice, puisque les avions avaient été payés et étaient donc la propriété du gouvernement français. La réticence de l’amiral Robert de rendre les avions ont conduit à soupçonner le gouvernement de Vichy de vouloir les utiliser.

Début novembre, deux destroyers US en opération hors de la base des navires en contrat bail située à Sainte Lucie et toujours en construction, débutèrent leurs patrouilles au large de Fort de France, à portée de vue des habitants. Plus tard, les patrouilles étaient maintenues seulement la nuit. Les hydravions PBY également basés à Sainte Lucie, faisaient les patrouilles de jour.

L’armistice résultait dans le gel des fonds français aux Etats-Unis. Cela coupait la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane Française de toutes leurs sources d’approvisionnement. Auparavant, elles n’avaient jamais besoin de stocker des provisions, en raison des arrivées fréquentes de bateaux. Les îles allaient être bientôt en situation de pénurie sévère. En novembre 1940, lorsque les îles n’avaient plus de pain depuis une semaine, l’ambassade française à Washington a demandé le déblocage de 1 million 250 000 dollars par mois, pour les besoins des trois colonies. Après des entrevues avec l’amiral Robert, ce montant fut réduit à environ 900 000 dollars. Le département des Finances assura ensuite un montant de 600 000 dollars. Ce montant s’éleva ensuite à 800 000 dollars puis à un million de dollars et resta à ce niveau. Une fois par mois, un navire marchand, opérant sous la garantie d’une conduite sécurisée contre les Allemands, faisait le voyage vers la New Orleans pour s’approvisionner en alimentation et en produits médicaux, achetés avec ce million de dollars.

Le croiseur Bertin

Le croiseur Bertin

La situation de la Martinique n’a pas évolué lorsque les Etats-Unis entrèrent en guerre. Ce n’est que lorsque Pierre Laval devint le chef du gouvernement de France, en 1942, que les Etats-Unis décidèrent qu’une nouvelle étape était nécessaire afin de s’assurer que ces navires de guerre n’atterrissent jamais dans les mains des Allemands. Le représentant spécial du département d’Etat, Sam Reber, accompagné par le contre-amiral John H. Hoover, commandant de la frontière maritime caribéenne arrivèrent à Fort de France, avec le soutien d’une Task Force de la flotte atlantique, pour une conférence très longue avec l’amiral Robert. Le résultat du meeting fut un accord sur l’immobilisation des navires de guerre.

Les travaux d’immobilisation débutèrent presqu’immédiatement. Les composants principaux des bateaux furent enlevés et envoyés à San Juan pour être stockés sous la supervision de ComCaribSeaFron. Ceci fut une pilule amère à avaler pour les combattants du croiseur Emile Bertin. Le Bertin avait participé à la bataille de Narvik et il avait dépassé tous les autres navires de guerre par sa capacité de combat. Il était dirigé par le contre-amiral Battet qui était extrêmement populaire et s’est battu, par la suite, avec la marine française libre. Que les officiers de la marine américaine enlèvent les engrenages à réducteurs de basse et haute puissance, cela paraissait un bien cruel destin pour ce valeureux bateau.

Un sous-marin allemand de la 2e guerre mondiale - Images Expédition Scyllias (www.scyllias.fr)

Un sous-marin allemand de la 2e guerre mondiale - Images Expédition Scyllias (www.scyllias.fr)

A ce moment là, la guerre « froide » dans les Caraïbes avait pris une tournure aussi brûlante qu’un métal fondu. Les sous-marins allemands s’alignaient à partir du Passage Mona jusqu’au Canal de Panama et assénaient des coups dévastateurs aux pipelines de Aruba, Curaçao et Trinidad. Ils menaçaient d’endommager également la route du bauxite des Guyanes britanniques et néerlandaises.

La marine US se trouvait dans une situation difficile. Le contre-amiral Hoover ne disposait que de deux destroyers, le Blakely et le Barney, pour couvrir et protéger la vaste région caribéenne, la quatrième et plus large zone maritime du monde. Les forces navales d’Aruba consistaient en un bateau militaire type vedette de défense (Moto Launch) pour garder la raffinerie la plus vaste du monde.

En conséquence, les bateaux devaient naviguer sans escorte. Ils étaient éliminés exactement comme des proies faciles et encore plus facilement parce que les tankers opérant dans ces eaux étaient de vieux bateaux à 7 nœuds. La marine US a tenté toutes les stratégies possibles mais en 1942, les Caraïbes étaient devenus le paradis des sous-marins. Les skippers allemands furent récompensés par une croisière dans les Caraïbes après une patrouille réussie dans l’atlantique nord.

Il arrivait souvent qu’ils terminent une patrouille sans apercevoir un seul navire de guerre ou un avion. Il n’est pas surprenant que le massacre de toute la flotte et des hommes dans les Caraïbes fut suivi d’une multitude de rumeurs, la plupart d’entre elles étant centrés sur la Martinique. Trois événements, survenus durant cette période, donnaient une certaine crédibilité à ces histoires.

Dans les premières heures de la soirée du 20 février 1942, un sous-marin allemand est entré dans le port de Fort de France, à la surface, et a demandé une permission de mettre leur officier supérieur à terre car il avait besoin d’un traitement médical urgent. Considérant la loi internationale, cette demande ne pouvait être refusée. Cet officier allemand, fils d’un amiral, avait été blessé à la jambe et une gangrène s’était déjà installée. La jambe fut amputée dans les heures qui suivirent sa mise à terre et il fut aussitôt interné. Or le sous-marin disparut dans les eaux pour attaquer quelques autres « proies faciles » marchandes. Aucun règlement de guerre n’avait été violé, mais les langues s’agitèrent dans les hautes et basses places lorsque ces nouvelles atteignirent les Etats-Unis.

Un peu plus de deux semaines plus tard, un sous-marin allemand entra dans Castries, port principal de Sainte-Lucie, en profitant de l’obscurité et torpilla un bateau canadien transportant des passagers, le Lady Nelson, sœur du bateau Lady Hamilton qui avait également été torpillé plus tôt dans cette guerre avec de terribles pertes humaines. Ce sous-marin torpilla aussi un navire marchand  britannique, tuant au total vingt personnes pour ces deux naufrages. Ces deux bateaux étaient totalement éclairés et le sous-marin ne remarqua pas un tanker américain, resté dans l’obscurité, lourdement chargé de barils de gaz à indice d’octane élevé. On avait conclu naturellement que le sous-marin entré à Fort de France et celui de Castries étaient un seul et même sous-marin, mais ce n’était pas le cas.

Le troisième acte de cette tragédie affectant la Martinique fut direct et remarquable. Le 25 mai, le navire Blakely fut torpillé alors qu’il faisait une patrouille de routine au large de Fort de France. L’avant du bateau a explosé et six hommes furent tués, mais ils parvinrent à accoster au port français. Grâce aux mêmes dispositions juridiques internationales qui ont aidé le sous-marin, le destroyer fut autorisé à rester là pour des réparations d’urgence afin qu’il puisse reprendre la mer. Mais deux jours après, le destroyer endommagé à Sainte-Lucie et sous escorte de plusieurs avions, était remonté à la surface grâce à l’avant d’un chasse-neige trafiqué pour l’amener à San Juan.

Il fut clairement établi que le Blakely patrouillait à une distance de 5 600 mètres de la Martinique. Or les eaux territoriales d’une île s’étendent jusqu'à 4 800 mètres en mer. Donc la torpille qui provenait de la rive latérale de l’île ne pouvait être lancée que par un sous-marin opérant à l’intérieur des eaux territoriales françaises.

Lorsque le Blakely fut torpillé, l’auteur de cet article était stationné dans la base navale américaine de Sainte Lucie. L’une des principales activités de la base étaient d’accueillir des personnes fuyant la Martinique et en désaccord avec le régime français de Vichy. Ils payaient des pêcheurs pour les amener à Sainte Lucie où un citoyen Français les aidait à rejoindre les Forces Libres Françaises. Des soldats, des marins, des officiers de ces deux services, des civils et même des femmes parcouraient une distance de 61 kilométres, pleine de risques, afin de se battre pour la liberté.

 

La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

Quelques semaines après le torpillage du Blakely, l’observateur naval Américain, en Martinique, tomba malade et dut être envoyé à San Juan pour un traitement médical intensif. Le commandant de la frontière maritime caribéenne donna l’ordre, à l’auteur de cet article, de le remplacer en Martinique.

Ce fut à la fois un choc et une surprise de s’apercevoir que la Martinique était pro-américaine à 95 % et presqu’autant anti-britannique. Les Français ne pouvaient jamais pardonner l’épisode d’Oran, mais ils étaient dramatiquement motivés pour soutenir la cause américaine.

Durant cette période, le personnel militaire de la Martinique était comme suit :

 

Officiers

Sous-officiers

Hommes enrôlés

Total

Armée

79

307

2,816

3,202

Marine

104

366

1,641

2,111

Total

183

673

4,457

5,313

 

Le Fort Tartenson, fort principal sur l’île, disposait de quatre canons de 160 millimètres, deux mortiers de 80 millimètres, deux canons antiaériens de 75 millimètres, quatre de 47 millimètres et deux canons de 12 millimètres. Fort Desaix, où les 384 millions de dollars en lingots d’or étaient stockés, disposait de deux canons de 95 millimètres, cinq mortiers de 80 millimètres, un canon de 75 millimètres, une batterie de quatre 47 millimètres et quatre canons AA de 12 millimètres (machine). Ces chiffres sont mentionnés juste pour montrer que la marine américaine était bien informée et préparée à rencontrer toutes éventualités sur l’île.

Maintenant, parlons de cette question très importante des sous-marins allemands venant s’approvisionner en fuel en Martinique. Le sous-marin nazi de 500 tonnes qui opérait dans les Caraïbes, durant l’été 1942, transportait assez de fuel pour une croisière de 42 jours. Cela permettait deux semaines pour la traversée à partir de Saint-Nazaire ou Lorient, deux semaines d’opérations dans les eaux de navigation caribéennes et deux semaines pour la traversée de retour. La capacité en fuel de ces sous-marins était de 67 tonnes métriques.

Tous les sous-marins de la seconde guerre mondiale utilisaient du diesel comme fuel. Au 1er novembre 1942, le stock de produits pétroliers, en Martinique, en tonnes métriques était ainsi que suit :

Gasoline 252.4
Kerosene 76.7
Gas-oil aucun
Diesel 115.0
Fuel oil 745.0
Lub oil 164.2

 

Concernant le diesel, les Français n’en avait reçu aucun, car le sous-marin français, le Surcouf, avait été coulé par un navire marchand américain, lors d’un tragique accident près du Canal de Panama, en avril 1942.

Futs de rhum en déchargement (photo rumporter.com)

Futs de rhum en déchargement (photo rumporter.com)

Comme mesure de sécurité supplémentaire, le Consul Américain en Martinique inspectait le document de transport de chaque bateau entrant au port et montait sur n’importe quel bateau dont il voulait inspecter la cargaison. Si le manifeste mentionnait 300 fûts de rhum, il s’assurait que ces fûts étaient bien vides.

Ces fûts de rhum étaient à l’origine de grandes confusions. Les aviateurs de l’armée et de la marine survolant sur la ligne des 3 800 mètres du territoire pour un rapide coup d’œil sur « l’île de l’intrigue » envoyaient un message affolé à San Juan, disant qu’ils avaient observé des barils de diesel chargés sur de petites barges dans le port de Fort de France.

La vérité sur ce fait était que la Martinique était tellement à court de gasoline que l’ordinaire gasoline pour les voitures consistait en 90 % de rhum et 10 % de gasoline. Mais la surveillance stricte sur les produits pétroliers de la Martinique était intensifiée par de vigoureuses inspections faites dans toutes les raffineries de la région caribéenne. A Aruba, Curasao et Trinidad, les experts en énergie pétrolière vérifiaient la destination et la finalité de chaque gallon de pétrole quittant les raffineries ; et ceci était renforcé par une inspection sur le point de destination par le consul américain. Et aucun client final, sur lequel pesait la moindre suspicion, ne pouvait obtenir du fuel où que ce soit, dans les caraïbes, ou en Amérique centrale ou en Amérique du sud.

Il y a beaucoup de preuves que les sous-marins recevaient des approvisionnements de la part de nombreuses goélettes dans les caraïbes, mais aucun cas de collusion n’a été confirmé. Les sous-marins montaient simplement des profondeurs salées, tiraient vers eux les goélettes inter-insulaires, enlevaient tout ce qu’ils voulaient, que ce soit du poisson, des oranges, des citrons, des bananes, des fruits à pain, des avocats, etc. C’étaient les explications données par les capitaines de goélettes terrifiés affirmant que seule la nourriture était de la contrebande, qu’ils demandaient à l’équipage ce qu’ils avaient en contrepartie d’un canot de sauvetage et ensuite ils coulaient le bateau. Un bon nombre de ces canots de sauvetage de fortune n’atteignaient jamais la terre.

La Martinique, une île convoitée par les Etats-Unis

Peu après notre arrivée en Martinique, Washington commença à montrer un intérêt considérable dans les 106 avions qui avaient débarqué de l’aéronef le Béarn. Personne ne semblait impressionné sur les faits suivants :

a) Il n’existait aucune piste d’une quelconque description, d’où ces avions pourraient décoller.

b) Les avions ont été laissés sur une colline, exposés aux éléments naturels pendant plus de deux ans.

Nous étions informés que ces avions étaient complètement inutilisables, en raison d’une longue exposition aux conditions climatiques tropicales. Nous considérions ces informations fiables, mais nos divers informateurs avaient nettement sous- estimé la situation. Nous décidâmes de faire une demande franche à l’amiral Robert afin de nous laisser photographier ces vieux avions et mettre un point final à toutes ces suspicions « infondées » que l’on avait à leur sujet. A notre grande surprise et notre grande joie, l’amiral Robert,  un vieux célibataire parfois affable, accepta immédiatement et ordonna à son officier du grade le plus élevé de nous servir d’escorte.

Nous allions découvrir bientôt que définir ces avions comme étant « inutilisables » était une classique et claire sous-évaluation correspondant à cette période. Il semble que durant l’une des alertes périodiques en Martinique, lorsque les militaires s’attendaient à ce que les Etats-Unis envahissent l’île, un « acharné zélé » a ouvert des consignes scellées et ces mots étaient écrits : « Détruisez ces avions. » Donc il vint rapidement avec une hache de pompier et sectionna les assemblages d’empennage des avions tandis qu’un autre officier incendiait certains d’entre eux. Avant qu’ils puissent être stoppés, la moitié des avions était en ruines. Nous avons expédié ces photos à Washington et nous avons été informés plus tard qu’elles se trouvaient sur le bureau du Président Roosevelt dans les deux heures suivant leur arrivée.

Peu de temps après, nous avons quitté la Martinique. Les Etats-Unis étaient maintenant embarqués avec succès dans la première étape d’une longue route en direction de l’Europe. Les six tankers français dans le port de Fort de France, dont on avait tant besoin au début de 1942 étaient maintenant tellement couverts d’anatifes que nous n’en voulions pas comme cadeaux. L’immense puissance productive de l’Amérique était en marche et les sous-marins étaient conduits de force, hors des caraïbes.

Six mois plus tard, la Martinique s’effondra de l’intérieur. Un groupe composé des plus grands propriétaires terriens et des citoyens les plus importants informèrent l’amiral Robert qu’ils n’allaient plus coopérer avec le gouvernement de quelque manière que ce soit. L’amiral Français avait une bonne connaissance de l’histoire de l’île et avait conscience que poussée à bout, la population de la Martinique était capable de se révolter et de provoquer de terribles massacres. L’amiral Robert capitula et monta à bord du destroyer avec l’ensemble de son équipage en direction de San Juan. Il resta à cet endroit durant plusieurs semaines, avant de retourner en France.

Lorsque la guerre fut terminée, l’amiral Robert fut conduit devant un tribunal par les partisans du Général de Gaulle et fut accusé de traîtrise et de collaboration. Il rêvait ardemment à une retraite dans sa France tant aimée. Au lieu de cela, il subit une disgrâce, fut démis de ses fonctions de la marine française et fut placé sous la tutelle permanente de son fils. Il aurait pu être condamné à une dure sentence de prison, mais fut sauvé, nous a-t-on dit, par l’intervention de son fils qui fut un combattant résistant renommé.

Auteur de l’article : Commandant C. Alphonso Smith, Réserve navale des Etats-Unis - Traduction par Aurore Holmes

Le commandant Smith, qui a servi dans les régions des Caraïbes, de l’Atlantique, des océans Indiens et Pacifique durant la deuxième guerre mondiale a travaillé ensuite dans les relations publiques pour la division des bateaux électriques de l’organisation « General Dynamics Corporation », constructeur de sous-marins à Groton dans le Connecticut.

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