Le mystère du courbaril
Le courbaril est un arbre majestueux rencontré à travers les Antilles, l’Amérique Centrale et du Sud. D’un vert éclatant, ses feuilles s’assemblent par deux. Il est recherché tant pour son bois que ses fleurs odorantes ou ses fruits. Planté sur l’habitation Clément le 17 décembre 2001 lors d’une cérémonie, il est devenu en Martinique, un symbole de paix…
Rencontres et complexités
« Peut-être, pourquoi pas ? »
Ces mots semblent clore les propos d’Aimé Césaire recueillis par Tony Delsham, journaliste et écrivain, en décembre 2004.
Ils expriment un doute, mais un doute plus proche d’une persuasion, d’une conclusion attendue et conforme aux convictions ancrées depuis si longtemps dans l’esprit et le cœur de celui qui les prononce.
Le nègre fondamental maintient une ambiguité portée par les complexités du philosophe et doublée par les stratégies du politicien.
« J’étais présent lorsque vous avez planté un arbre à l’habitation Clément à la demande de monsieur Bernard Hayot. À l’époque, j’ai écrit qu’Aimé Césaire ne peut pas faire d’acte gratuit et que son acceptation était sans doute aucun, un message fort. Me suis-je trompé? » questionne Tony Delsham.
« Oh, il ne faut pas tout ramener à cela, lui répond Aimé Césaire. Un jour monsieur Bernard Hayot m’invite pour inaugurer quelque chose, je n’avais aucune envie particulière de le faire, mais de quoi cela aura l’air, me suis-je dit. Et j’y suis allé. Il s’agissait de planter un courbaril. L’Hymenea courbaril. Pourquoi avait-il choisi cet arbre? Je n’en sais rien mais cela m’a donné à réfléchir, comme tout ce que je vois dans la nature. L’Hymenea courbaril est comme ça (il met les deux doigts de la main vers le haut). Il a deux feuilles, ces feuilles, le soir, sont comme ça (les deux doigts de la main vers le bas). Elles se mélangent et forment une seule feuille. L’Hymenea, rappelez-vous, l’hymen c’est le mariage. Ces deux feuilles que font-elles la nuit ensemble ? »
Êtes-vous en train de me dire que si vous, vous ne pensiez pas particulièrement à un message fort, monsieur Bernard Hayot, en choisissant cet arbre-là, et pas un autre, lui, avait un message fort à faire passer?
« Peut-être, pourquoi pas ? »
Une dernière phrase donc qui interroge, qui nous abandonne une nouvelle fois en points de suspension, mais invite à construire nous-mêmes la réponse tout en laissant certains indices, car l’Hymenea représente l’acte du mariage, l’acte d’amour qui nous assemble à jamais.
Le Nègre Fondamental, Aimé Césaire, a accepté une rencontre avec le Béké Fondamental, Bernard Hayot, deux guerriers sous le poids de mémoires tragiques des siècles passés. Il ont déposé leurs armures pour un temps, le temps de fumer le calumet de la paix, le temps d’un acte symbolique, mais si fragile. Se sont-ils parlés dans une parenthèse. Que se sont-ils dit ? Cet aparté était-il conditionné d’ultimes exigences ? Mystère…
Puis le Nègre Fondamental s’en est allé, a remis son armure et s’est éteint le 17 avril 2008.
Pourtant après le courbaril, on parle toujours de dialogue improbable aux Antilles.
Que s’est-il passé entre les années 1940, durant lesquelles Aimé Césaire paticipait aux nombreuses rencontres intellectuelles avec les théoriciens et les artistes du courant surréaliste, tel que le plus célèbre d’entre tous, André Breton, et l’année du Courbaril ?
Soirée réunissant de nombreux membres du groupe surréaliste chez le marchand d'art Pierre Matisse à New-York en 1945. Sur la photographie de gauche à droite : André Breton, Esteban Frances, Suzanne Césaire, Jackie Matisse, Denis de Rougemont, Elisa Breton, Sonia Sekula, Madame Nicolas Calas, Yves Tanguy, Nicolas Calas, Marcel Duchamp, Patricia M., Matta, Teeny Matisse et Aimé Césaire.
Il ne s’est passé que la traversée du sentier étroit des réalités sociales et économiques durant laquelle céder aux tentations des exaltations risque de nous faire chuter dans un gouffre fatal. Aimé Césaire a emprunté le costume de la politique comme une croix.
Aimé Césaire, un homme politique incompris
Entretiens avec Aimé Césaire (HC éditions, 2021) de Marijosé Alie nous fait découvrir un homme qui demeure incompris hissant le concept d’humanité au-delà des clivages politiques :
« Il m’avait dit en préambule, la première fois que nous nous étions rencontrés et que je m’interrogeais sur sa propension aussi grande à cristalliser les passions qu’à cristalliser les mécontentements – Je suis toujours l’objet d’accusations qui sont parfaitement contradictoires. Certains prétendent que c’est moi qui ai enfoncé la Martinique dans la départementalisation, d’autres au contraire disent que voilà, Césaire prêche l’indépendance. Pour moi, cela n’a pas beaucoup de sens de dire que je suis indépendantiste ou autonomiste, je dirai plutôt que je suis « émancipationiste », c’est un bon vieux mot qui exprime bien ce que je suis. Je suis pour l’émancipation de l’homme, autrement dit, libérer l’homme de tout carcan de toute contrainte. Dans le mot émancipation, il y a la racine mancipium , c’est-à-dire in manum capere, prendre quelqu’un en main. L’émancipation, c’est se prendre en main soi-même, c’est cela qui pour moi est une valeur essentielle. »
Nous prendre en main et nous accepter dans notre totalité comme la feuille du Courbaril ne faisant plus qu’un au coucher du soleil. Tel est le message.
Aurore Holmes