Lafcadio Hearn, ses dessins et sketches créoles
Le Gavroche littéraire
L'histoire de Lafcadio Hearn fait penser aux romans de Victor Hugo ou de Charles Dickens, tant elle est parsemée de ruptures familiales, de confrontations à la pauvreté, aux horreurs et à l'isolement de la rue.
Un tel contexte aurait pu le conduire à un dégoût, à un rejet de la société, mais bien au contraire, ce personnage incroyable s'est nourri de ses cultures diverses, grecques, irlandaises puis Louisianaises pour affiner son ingéniosité littéraire, en faire un outil de résilience, de révolte intellectuelle et enfin un outil de puissance littéraire.
En effet, Lafcadio Hearn fut au début de sa carrière professionnelle pigiste, puis journaliste pour enfin atteindre sa transformation libératrice d'écrivain avec particulièrement "Youma, the story of a West Indian Slave" (Youma, l'histoire d'une esclave des Antilles) et "Two years in the french West Indies" (Deux années dans les Antilles françaises).
En tant que journaliste, Lafcadio Hearn couvrait les événements criminels de la ville de Cincinnati et sa sensibilité littéraire relativement sombre se prêtait aisément à les relater grâce à un style littéraire fantastique. Il était également fasciné par les histoires créoles relatives aux fantômes. Les archives de Cincinnati présentent d'ailleurs l'un de ces articles inspiré par sa première épouse métisse, Alethea Foley, publié dans le journal Cincinnati Commercial, le 26 septembre 1875 et dont le titre est "Une étrange expérience, réminiscences d'un medium".
Lafcadio Hearn raconté par Hutson et Fairfax
Charles Woodward Hutson et Estel Hutson ont collecté les courts récits écrits par Lafcadio hearn entre 1879 et 1881, pour le Daily City Item, journal de la Nouvelle Orléans, dans un livre publié en 1923 et intitulé Creole sketches by Lafcadio Hearn.
Dans leur introduction et leur premier chapitre "Hearn's cartoons" (dessins ou caricatures de Lafcadio Hearn), nous découvrons leurs rencontres avec l'écrivain :
Le premier employeur de Lafcadio Hearn, à la New Orleans, est toujours actif à l'âge de quatre-vingt-deux ans. On peut le voir à son bureau de la banque, n'importe quel jour, durant les heures de travail. Il s'agit du Colonel John Wheeler Fairfax (1840-1924), un vétéran de l'armée Confédérée, s'étant engagé à l'âge de vingt ans. Il travaillait dans les milieux des journaux dans les années soixante et soixante-dix.
Il était le propriétaire du Daily city Item lorsque ce journal donna à Hearn son premier emploi de la ville dans laquelle il s'installa durant l'hiver 1877-78, avec tant d'enthousiasme et on peut affirmer qu'au moment où il obtint ce job, durant l'été 1878, il était pratiquement affamé.
"Oui, je me souviens parfaitement de Hearn", dit le Colonel Fairfax, "et même de ce jour où il est venu chez nous pour du travail. Je ne me souviens plus s'il était venu directement dans mon bureau, dans la rue Gravier, ou si Bigney, Mark F. Bigney, alors rédacteur en chef du journal Item, m'a demandé de venir pour voir si on pouvait le recruter.
"Vous voyez, Hearn n'était vraiment pas très attirant, au premier regard. Le roulement de ses yeux impairs et anormalement saillants était la seule chose que l'on remarquait d'abord. Une fois que vous étiez habitué à cet oeil, vous pouviez vous rendre compte que ses autres traits étaient très bien et même affinés. Mais de surcroît, lorsqu'il s'est présenté ici, il était misérablement habillé, même ses mains étaient crasseuses et ses ongles noirs.
" Il a traversé des moments vraiment pénibles depuis qu'il est descendu de Cincinnati ; et l'une des raisons pour lesquelles Bigney a hésité avant de le prendre était sa réputation de Républicain aux idées violentes pour lesquelles il avait dû quitter Memphis (1). Peut-être que je n'aurais pas dû vous dire cela, même maintenant - Mais la guerre est bien terminée à notre époque. Mais en ce temps là, c'était quelque chose de très grave dans cette partie du monde et cela n'était pas favorable pour Hearn.
"Nous l'avons pris, malgré tout, et j'éprouvais une sorte de sympathie pour ce pauvre individu qui semblait ne pas avoir eu un bon repas depuis des mois et paraissait ressentir vivement la façon dont les garçons le traitaient à cause de ses idées républicaines et aussi son étrange apparence et tout cela. Donc je l'ai invité à dîner à la maison, pas seulement une fois, mais encore et encore - deux fois par semaine, pendant pas mal de temps.
"Il y a quelques jours, ma femme se rappelait de la première fois où il est venu. Habillé d'une veste bleue, un pantalon en lin, la veste était boutonnée jusqu'au cou pour cacher sa chemise - 'N'était-il pas bizarre ?' disait ma femme . Et timide ? Pourquoi s'était-il juste contenté de s'asseoir pour émietter son pain - et manger à peine une bouchée. Nous étions une grande famille et nous avions presque toujours des invités ; et jusqu'à ce qu'il surmonte sa timidité, nous avions pris l'habitude de l'ignorer, agissant selon nos habitudes familiales comme s'il n'était pas là, évitant de l'embarrasser.
"Et dès qu'il surmonta sa timidité, il fut d'une charmante éloquence et notre attachement envers lui s'accrût. Ma fille avait l'habitude de le taquiner."
A propos des dessins de Lafcadio Hearn
Colonel John W. Fairfax :
"Hearn n'a pas écrit les 'notes Wayside', c'était ma colonne. Mais je vous le dis, ce qu'il a écrit - ces vers illustrés grâce à de la gravure sur bois - Tout était le travail de Hearn, ses idées, son texte, ses dessins. Il a dessiné ces caricatures, les toutes premières caricatures pour les journaux dans cette partie du pays [...]
"Nombre de ces dessins étaient politiques, quelques-uns étaient sur des problèmes de politique nationale, ainsi la campagne présidentielle était à son sommet lorsque ces séries ont été publiées. Certains étaient sur les stupidités des représentants de la ville, surtout la Commission Santé, dont les efforts futiles pour contrôler la fièvre jaune et d'autres épidémies furent intensément attaqués par le journal Item, à cette époque.
"Mais la plupart des gravures peignaient les coutumes locales ou des fables se rapportant à la nature humaine, celle-ci n'ayant ni saisons, ni lieux particuliers. [...]"
Extraits traduits de Creole Sketches - Lafcadio Hearn.
(1) Hearn avait des idées républicaines. Cela n'avait rien à voir avec les le parti républicain que l'on connaît aujourd'hui. Hearn était hostile à l'esclavage et préférait fréquenter les milieux créoles et le plus souvent pauvres. Il était également un actif défenseur des femmes ouvrières (voir article ci-dessous, paru dans Cincinnati Enquirer le 15 février 1874, intitulé "mort lente par la faim").
Parmi ces sketches sur la nature humaine, l'un d'eux a pour titre "Ultra-canal". Assez savoureux, il est écrit dans un patois Louisianais appelé YAT, avec ci-dessus le dessin correspondant.
En voici un extrait :
“Is the old man in?”
**Ah! de ole man! He not been live here
since more as tree year. He have lef all
his furnizer here; but I not know vat him
become. I tink vat he lose himself.”
“Lose himself?”
“Yes, I tink he lose to himself. Monsieur
not speak Francais? No? Eh bien I
make try you explain, zough I not good
English speak.
Gombo Zhèbes de Lafcadio Hearn - Expressions Plurielles
"Ceux qui ont eu l'opportunité de visiter la New Orléans connaissent probablement certaines caractéristiques des préparations culinaires dont le nom générique est " Gombo " - composées d'él...
https://expressionsplurielles.org/litterature/gombo-zhebes-de-lafcadio-hearn.html
Le séjour de Lafcadio Hearn dans les Antilles (1887 - 1889)
En juillet 1887, Patrick Lafcadio Hearn entreprit un tour des îles caribéennes. Il s'arrêta à Sainte Croix (Iles Vierges des Etats-Unis), Saint Kitts et Nevis, Montserrat, La Dominique puis la Martinique. Dès son retour à New York, il vendit son manuscrit intitulé "A Midsummer Trip to the Tropics" (Voyage d'été vers les tropiques) au Magazine Harper, pour une somme remarquable de 700 dollars. Il retourna en Martinique en octobre de la même année avec l'intention d'y rester de nombreuses années. Il séjourna à Saint Pierre, dans la rue Bois Morin, puis rentra à New York en mai 1889 avant de partir s'installer au Japon en avril 1890.