J'accuse

Publié le par Aurore Holmes

J'accuse

J’accuse un pan de nos élites antillaises et particulièrement certains de nos grands poètes, écrivains et historiens d’activités réductrices de notre richesse culturelle dans l’unique but de préserver leur notoriété et de se languir dans l’inaction et la victimisation. Ce faisant, ils sacrifient sciemment l’avenir économique de nos régions et en conséquence l’avenir des générations qui nous suivent.

Il est bien plus aisé d’attiser les haines, les rancœurs et les peurs, plus facile d’asseoir un pouvoir intellectuel sur des idées surannées que de s’interroger sur les actions à mener afin de réduire les inégalités sociales, pacifier et unir nos forces économiques.

Les violences et la tyrannie n’ont pas de couleur de peau et elles s’insinuent dangereusement par le biais de ceux qui se contentent de réveiller les passions et les croyances avec les seuls mots de « colonialisme » ou « esclavagisme » et également par le biais de ceux qui s’attachent à exclure des pans de nos sociétés en raison de leurs origines, leurs religions ou leurs orientations sexuelles.

Quand saurons-nous analyser nos environnements mondiaux, présents et non passés, dans le seul intérêt de nos populations ? Les excès du wokisme ou les alertes sur le « Grand remplacement » sont à mettre dos à dos et ne pourront nous amener que sur des solutions de «face à face » dont nos élites seront les seuls responsables.

L’interprétation tronquée de vérités essentielles de notre Histoire et même des écrits de ceux que nous brandissons tels des étendards dont Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant, Maryse Condé ; cette interprétation tronquée, déformée a des conséquences sur nos avenirs.

Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé
Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé
Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé

Aimé Césaire, Frantz Fanon, Maryse Condé

Sur la responsabilité des intellectuels :

« Littérature, dira-t-on ? _ Spéculation intellectuelle ? _ Sans aucun doute. Mais ni la littérature ni la spéculation intellectuelle ne sont innocentes ou inoffensives. – Aimé Césaire, Conférence hémisphérique des peuples noirs de la diaspora, 26 février 1987.

Sur le déphasage de nos élites et de leurs transmissions :

« […] souvent, quand je parle avec de jeunes Antillais nés ici, ce qui me frappe c’est qu’ils sont Français. Notre génération a tout fait pour ne pas être française, dès qu’on a pris conscience qu’on était arrivés en Guadeloupe par hasard contraints par l’esclavage, on est partis, on est allés à l’autre bout du monde. Mais eux, nés en France, ils disent qu’ils sont Français. Quelque part je suis un dinosaure et je tiens compte de faits qui pour eux ne comptent plus. » -Marie Poinsot et Nicolas Treiber, “Entretien avec Maryse Condé”, Hommes & migrations, 1301 | 2013, 182-188.

Sur la négritude et son dépassement :

« Si la négritude n’a pas été une impasse, c’est qu’elle menait autre part. Où nous menait-elle ? Elle nous menait à nous-mêmes. […]

Tremblement des concepts, séisme culturel, toutes les métaphores de l’isolement sont ici possibles. Mais l’essentiel est qu’avec elle était commencée une entreprise de réhabilitation de nos valeurs par nous-mêmes, d’approfondissement de notre passé par nous-mêmes, du ré-enracinement de nous-mêmes dans une histoire, dans une géographie et dans une culture, le tout se traduisant non pas par un passéisme archaïsant, mais par une réactivation du passé en vue de son propre dépassement. » - Aimé Césaire, discours prononcé le 26 février 1987, à l’Université internationale de Floride, à Miami, Conférence hémisphérique des peuples noirs de la diaspora.

« Mais ce moment négatif n’a pas de suffisance par lui-même et les noirs qui en usent le savent fort bien; ils savent qu’il vise à préparer la synthèse ou réalisation de l’humain dans une société sans races. Ainsi, la Négritude est pour se détruire, elle est passage et non aboutissement, moyen et non fin dernière. » - Jean-Paul Sartre, Orphée noir, préface écrite pour l’essai de Léopold Senghor Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française, PUF, 1948.

Sur la « mission des noirs » et le « fardeau des blancs » :

« Il n’y a pas de mission nègre, il n’y a pas de fardeau blanc. Le nègre n’est pas, pas plus que le Blanc. Tous deux ont à s’écarter des voix inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une véritable communication.  » - Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, 1952.

« Je crois qu’on en a fini avec la race, la terre d’origine et l’identité unique. La jeunesse d’aujourd’hui est au confluent de plusieurs cultures, de plusieurs langues et influences. C’est cette diversité encore un peu chaotique qui nous définit, mieux que notre appartenance à tel ou tel pays. » - Maryse Condé, Article Maryse Condé autrement antillaise, par Tirthankar Chanda, Revue Jeune Afrique, juillet 2008.

« Au début, j’ai été une disciple d’Aimé Césaire. J’ai cru à la négritude. Pour moi, tous les Noirs de toutes les "races" étaient mes frères et mes sœurs. Puis je me suis rendu compte que les Africains-Américains ne m’acceptaient pas. Malgré ma peau noire, je venais d’ailleurs, j’avais d’autres référents, une autre histoire. Mes parents n’avaient pas eu à s’asseoir au fond d’un bus pour laisser leur place à des Blancs.

Peut-être inconsciemment me le reprochait-on ? En tout cas, il n’y avait aucune raison qu’on m’accueille à bras ouverts. Mais cela a été pareil en Afrique, en Guinée notamment : les Africains ne m’ont jamais considérée comme l’une des leurs. » - Maryse Condé, entretien avec Clarisse Juompan-Yakam de la revue Jeune Afrique -Ma relation avec l’Afrique s’est fondée sur un mensonge, du 21 mai 2015.

Sur le totalitarisme :

« Le sujet idéal de la domination totalitaire n’est ni le nazi convaincu, ni le communiste convaincu, mais les gens pour qui la distinction entre fait et fiction (la confrontation à l’expérience) et la distinction entre vrai et faux (abstraction et esprit critique) n’existent plus. » - Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme, tome III, Le totalitarisme, Gallimard, Quarto, 2002, p. 832.

« Et alors, un beau jour, la bourgeoisie est réveillée par un formidable choc en retour : les gestapos s’affairent, les prisons s’emplissent, les tortionnaires inventent, raffinent, discutent autour des chevalets.

On s’étonne, on s’indigne. On dit : « Comme c’est curieux ! Mais, bah ! C’est le nazisme, ça passera ! : Et on attend, et on espère ; et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries ; que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on en a été le complice ; que ce nazisme-là, on l’a supporté avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que, jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens. […]

Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation de l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique. » - Le discours sur le colonialisme, texte d’Aimé Césaire daté de 1950.

En conclusion, il existe une barrière invisible, aisément franchissable entre la normalité et la monstruosité d’une collectivité humaine. Il demeure de notre responsabilité d’en garder une conscience très vive.

J'accuse

Il devient urgent de rationaliser nos peurs, de mesurer nos responsabilités, de démontrer l'ampleur de nos réflexions humanistes, d'une vision plus étendue que celle de nos propres intérêts, de nous orienter vers des concertations raisonnables. Tout cela est encore possible avec l'union de nos bonnes volontés.

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Publié dans Société, Actualités, Opinions

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