Hommage à Maryse Condé, une grande dame

Publié le par Aurore Holmes

Hommage à Maryse Condé, une grande dame

Maryse Condé

Autrice, chercheuse et enseignante.

 1937 - 2024

L'accès à l'universel

 

Maryse Condé s’inscrit dans une mouvance revendiquant l’explosion des carcans de l’écriture vers le dépassement des frontières et l’accès à l’universel.

Maryse Condé possède l’expérience transversale des continents, de l’Europe à l’Amérique, en passant par l’Afrique, mais aussi l’amertume et la lucidité. La littérature a acquis une vocation de transmission de l’histoire, de la connaissance, du récit intime, autobiographique et s’accompagne d’une expression dans une pluralité de langues.

« L’écrivain ne peut rien. Je crois que la littérature n’est pas le lieu privilégié de l’engagement. On peut écrire pour témoigner, pour se libérer d’une angoisse que l’on a portée et montrer que l’on est arrivé à la dominer, mais la littérature n’est pas un médium de combat.

Je pense que les gens qui parlent d’une littérature de combat mythifient un peu les choses. En réalité, peu de gens nous lisent. Par exemple, lorsque je suis arrivée à Dakar, et que j’ai parlé de René Maran avec un médecin antillais assez cultivé, je me suis aperçue qu’il venait d’entendre ce nom pour la première fois. Finalement, la littérature se limite aux personnes qui prennent du plaisir à lire. Il faut que le milieu auquel vous appartenez s’y intéresse, qu’on vous forme à l’écriture. […]

La littérature est quelque chose d’important pour moi, mais j’ai plus de réserves par rapport aux effets que les livres produisent. » - Marie Poinsot et Nicolas Treiber, “Entretien avec Maryse Condé”, Hommes & migrations, 1301 | 2013, 182-188.

 

Maryse Condé n’hésite pas à se questionner ainsi que ses contemporains écrivains, sur une sorte de positionnement anachronique des considérations sur l’identité :

« […] souvent, quand je parle avec de jeunes Antillais nés ici, ce qui me frappe c’est qu’ils sont Français. Notre génération a tout fait pour ne pas être française, dès qu’on a pris conscience qu’on était arrivés en Guadeloupe par hasard contraints par l’esclavage, on est partis, on est allés à l’autre bout du monde. Mais eux, nés en France, ils disent qu’ils sont Français. Quelque part je suis un dinosaure et je tiens compte de faits qui pour eux ne comptent plus. » - ibid.

L’écrivain, aussi talentueux soit-il, ne doit pas se figer dans une sorte de fossilisation passéiste et stérile alors que le monde autour de lui est dans un mouvement évolutif perpétuel, bien au contraire, il doit se rendre capable de nous projeter dans la complexité d’un futur dynamique.

Négritude et désillusions

Maryse Condé porte un regard sévère sur le concept de la négritude tout en reconnaissant qu’il était un passage nécessaire. Elle dénonce l’illusion d’une fraternité entre noirs. Pourtant, elle a cru au mythe du retour en Afrique et elle a traversé ce continent, du Sénégal au Ghana en passant par la Côte d’Ivoire.

« Les partisans de la Négritude ont fait une grave erreur et ont causé beaucoup de tort aux Antillais aussi bien qu’aux Américains noirs. Nous avons été amenés à croire que l’Afrique était la source. C’est la source mais nous avons cru que nous trouverions une patrie alors que ce n’est pas une patrie. Sans la négritude nous n’aurions pas subi un tel degré de désillusion. » - Vèvè A. Clark - Je me suis réconciliée avec mon île. Un entretien avec Maryse Condé, Callaloo, n° 38, hiver 1989, p. 116.

Dans un entretien avec Clarisse Juompan-Yakam de la revue Jeune Afrique -Ma relation avec l’Afrique s’est fondée sur un mensonge, du 21 mai 2015, Maryse Condé raconte son parcours, ses espoirs et ses déceptions :

« Au début, j’ai été une disciple d’Aimé Césaire. J’ai cru à la négritude. Pour moi, tous les Noirs de toutes les "races" étaient mes frères et mes soeurs. Puis je me suis rendu compte que les Africains-Américains ne m’acceptaient pas. Malgré ma peau noire, je venais d’ailleurs, j’avais d’autres référents, une autre histoire. Mes parents n’avaient pas eu à s’asseoir au fond d’un bus pour laisser leur place à des Blancs.

Peut-être inconsciemment me le reprochait-on ? En tout cas, il n’y avait aucune raison qu’on m’accueille à bras ouverts. Mais cela a été pareil en Afrique, en Guinée notamment : les Africains ne m’ont jamais considérée comme l’une des leurs. »

© Aurore Holmes

 

Biographie

Maryse Condé naît à Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, le 11 février 1937. Elle est la benjamine d’une famille de huit enfants. Ses parents appartiennent à la classe bourgeoise locale, son père étant un banquier et sa mère, une institutrice.

Maryse Condé quitte la Guadeloupe en 1953, s’installe dans l’hexagone et y poursuit des études universitaires littéraires à la Sorbonne.

« C’est à vingt ans, en découvrant le « Discours sur le colonialisme » d’Aimé Césaire que j’ai compris, expliquait-elle dans une interview à RFI, que la présence des Noirs sur le continent américain n’allait pas de soi et qu’elle était le résultat d’un processus historique ».

En 1958, elle épouse l’acteur Mamadou Condé, originaire de la Guinée. En 1959, elle enseigne au collège de Bingerville en Côte d’Ivoire. En 1960, elle rejoint son époux à Conakry en Guinée ; elle enseigne le français au Collège Bellevue. Elle travaille ensuite au Ghana à l’Institut Idéologique de Winneba. Après le coup d’état qui renverse Nkrumah, elle est emprisonnée pour espionnage pendant peu de temps, puis déportée avec ses quatre enfants à Londres où elle devient journaliste aux services français de la BBC.

La quête identitaire de Maryse Condé se fusionne avec son histoire personnelle. Elle semble poursuivie par l’obsession de mettre ses pas dans celui de ses ancêtres africains et d’un retour à la source.

Mais les années passées en Côte d’Ivoire, en Guinée, au Ghana aboutissent à une double désillusion : l’échec de son couple, elle divorce de Mamadou Condé et la déception d’une intégration impossible sur les terres africaines.

Cette expérience douloureuse impulse l’inspiration de ses premiers livres dont Hérémakhonon dans lequel elle remet en cause le concept de négritude ainsi que leurs pères fondateurs, Aimé Césaire et Léopold Senghor, puis un roman historique en deux volumes, Ségou (1984-1985). Maryse Condé connaît alors un succès fulgurant.

Credit photos : Babelio et Le Dauphiné

Credit photos : Babelio et Le Dauphiné

En 1973, elle obtient son doctorat en littérature. En 1982, elle épouse Richard Philcox, de nationalité américaine qui la soutient à travers la traduction de la plupart de ses romans vers l’anglais. Ils s’installent à Los Angeles puis en Guadeloupe. Sans emploi, le couple retourne aux Etats-Unis. Elle enseigne dans diverses universités dont celles de Columbia, de la Virginie, du Maryland, de Harvard et de Columbia en 1995, où elle créera le Centre d’Études Francophones.

En 2004, Maryse Condé devient la première présidente du Comité pour la mémoire de l'esclavageEn 2008 son roman, Les Belles Ténébreuses est publié, roman qui retrace le parcours d’un jeune homme victime d’un attentat terroriste en Afrique. En 2011, elle est nommée Grand Officier de l'Ordre national du mérite et elle publie en 2012, La vie sans fards (JC Lattès). 

"Un écrivain a deux vies : une vie rêvée et une vie réelle. Je rêve beaucoup et c'est plus important que la réalité."

"L'écriture est une force que vous avez en vous. Rien d'autre ne vous plaît autant. C'est impossible, je crois, de dire le fond des choses. On est écrivain, on ne sait pas pourquoi."

"Simplement, l'écriture est une force, on ne sait pas comment la maîtriser. C'est en vous, une passion, une vocation, un désir."

Maryse Condé - Extraits Culture Prime

 

Bibliographie de Maryse Condé

 

Romans:

  • Heremakhonon. Paris: 10/18, 1976. Nouvelle édition, En Attendant le bonheur (Heremakhonon), Paris: Seghers, 1988.
  • Une Saison à Rihata. Paris: Laffont, 1981.
  • Ségou: Les murailles de terre. Paris: Laffont, 1984.
  • Ségou: La terre en miettes. Paris: Laffont, 1985.
  • Moi, Tituba, sorcière noire de Salem. Paris: Mercure, 1986.
  • La vie scélérate. Paris: Seghers, 1987.
  • Traversée de la mangrove. Paris: Mercure, 1989.
  • Les Derniers Rois Mages. Paris: Mercure, 1992.
  • La Colonie du Nouveau Monde. Paris: Laffont, 1993.
  • La Migration des coeurs. Paris: Laffont, 1995.
  • Desirada. Paris: Laffont, 1997.
  • Célanire cou-coupé. Paris: Laffont, 2000.
  • La Belle Créole. Paris: Mercure, 2001.
  • Histoire de la femme cannibale. Paris: Mercure, 2003.
  • Les belles ténébreuses. Paris: Mercure, 2008.
  • En attendant la montée des eaux. Paris: Lattès, 2010.
  • Le fabuleux et triste destin d’Ivan et d’Ivana. Paris: Lattès, 2017.

Récits:

  • Le Coeur à rire et à pleurer, contes vrais de mon enfance. Paris: Laffont, 1999.
  • Victoire, des saveurs et des mots. Paris: Mercure, 2006.
  • La vie sans fards. Paris: Lattès, 2012.
  • Mets et merveilles. Paris: Lattès, 2015.

Théâtre:

  • Dieu nous l’a donné. Paris: Pierre Jean Oswald, 1972.
  • Mort d’Oluwémi d’Ajumako. Paris: Pierre Jean Oswald, 1973.
  • Le Morne de Massabielle. Puteaux: Théâtre des Hauts de Seine, 1974.
  • Pension les Alizés. Paris: Mercure, 1988.
  • An Tan Rvolysion. Guadeloupe: Conseil Régional, 1989.
  • Comédie d’amour. Mises en scène: Théâtre Fontaine (Paris, juillet 1993);  New York et Washington, D.C. (novembre 1993).
  • Comme deux frères. Paris: Lansman, 2007.
  • La Faute à la vie. Paris: Lansman, 2009.

Littérature pour la jeunesse:

  • Victor et les barricades. Je Bouquine 61 (mars 1989): 13-64.
  • Haïti chérie. Illustrations de Marcelino Truong. Paris: Bayard, 1991; réédité sous le titre Rêves amers. Paris: Bayard Jeunesse, 2001.
  • Hugo le terrible. Paris: Sépia, 1991; Paris: Larousse, 2020.
  • La Planète Orbis. Illustrations de Letizia Galli. Pointe-au-Pitre: Jasor, 2002.
  • Savannah bluesJe Bouquine 250 (novembre 2004); Paris: Sépia, 2009, 2016.
  • Chiens fous dans la brousse. Je Bouquine (2006); Paris: Bayard, 2008.
  • À la Courbe du Joliba. Illustrations de Letizia Galli. Paris: Grasset-Jeunesse, 2006.
  • Conte cruel. Illustré par Mance Lanctôt. Montréal: Mémoire d’encrier, 2009.
  • La Belle et la Bête, une version guadeloupéenne. Paris: Larousse, 2013.

Anthologies:

  • Anthologie de la littérature africaine d’expression française. Ghana Institute of Languages, 1966.
  • La Poésie antillaise. Paris: Nathan, 1977.
  • Le Roman antillais. Paris: Nathan, 1977.
  • Bouquet de voix pour Guy Tirolien. Pointe-à-Pitre: Jasor, 1990.
  • Caliban’s Legacy. The Literature of Guadeloupe and Martinique; Special issue of Callaloo 15.1 (Winter 1992).
  • L’Héritage de Caliban, essais sur la littérature antillaise francophone. Pointe-à-Pitre: Jasor, 1992.
  • Penser la créolité, co-direction avec Madeleine Cottenet-Hage. Paris: Karthala, 1995.

Essais:

  • Pourquoi la Négritude? Négritude ou Révolution, Négritude africaine, négritude caraïbe (Jeanne-Lydie Goré, éd). Éditions de la Francité, 1973: 150-154.
  • Négritude Césairienne, Négritude Senghorienne, Revue de Littérature Comparée 3.4 (1974): 409-419.
  • La Civilisation du bossale; Réflexions sur la littérature orale de la Guadeloupe et de la Martinique. Paris: Harmattan, 1978, 2000.
  • Profil d’une oeuvre: Cahier d’un retour au pays natal. Paris: Hatier, 1978.
  • « Propos sur l’identité culturelle ». Négritude: Traditions et développement (Guy Michaud, éd.). Paris: P.U.F., 1978: 77-84.
  • La parole des femmes: Essai sur des romancières des Antilles de langue française. Paris: l’Harmattan, 1979.
  • « L’Image de la petite fille dans la littérature féminine des Antilles ». Recherche, Pédagogie et Culture 44 (1979): 89-93.
  • « Au-delà des langues et des couleurs ». La Quinzaine Littéraire 436 (mai 1985): 36.
  • « Notes sur un retour au pays natal ». Conjonction 176 (supplément 1987): 7-23.
  • « Cinema, Literature and Freedom ». Ex-iles: Essays on Caribbean Cinema, Mbye B. Cham, ed. Africa World Press, 1992: 370-377.
  • « Order, Disorder, Freedom and the West Indian Writer ». Yale French Studies 83 (1993): 121-136.
  • « The Role of the Writer ». World Literature Today 67.4 (1993): 697-700.
  • « Femme, Terre Natale » (essai sur Gisèle Pineau). Parallèles: Anthologie de la nouvelle féminine de langue française. (M. Cottenet-Hage et J.-Ph. Imbert, éds.)  Québec: L’Instant Même, 1996: 253-260.
  • « Noir, C’est Noir » (préface). Regards Noirs. Paris: Harmattan, 1996.
  • « Nèg pas bon ». Othello: New Essays by Black Writers, Mythili Kaul, ed. Washington, D.C.:  Howard University Press, 1997.
  • « Créolité without Creole Language ». Caribbean Creolization. Gainesville: University Press of Florida, 1998.
  • « Unheard Voice: Suzanne Césaire and the Construct of a Caribbean Identity ». Winds of Change: The Transforming Voices of Caribbean Women Writers and Scholars. Adele Newson and Linda Strong-Leek, eds. New York: Peter Lang, 1998.
  • « O Brave New World ». Research in African Literatures 29.3 (Fall 1998): 1-8.
  • « On the Apparent Carnivalization of Literature from the French Caribbean ». Representations of Blackness and the Performance of Identities. Jean Muteba Rahier, ed. Westport, Connecticut: Bergin & Garvey, 1999: 91-97.
  • Heros et Cannibales. Portulan 99 (Novembre 2000): 43-52.
  • The Voyager In, The Voyager Out. Autrement, « La Guadeloupe », collection Monde hors série 123 (janvier 2001): 250-259.
  • Fous-t-en Depestre, Laisse dire Aragon. The Romanic Review 92.1-2 (January-March 2001): 177-85.
  • Haïti dans l’imaginaire des Guadeloupéens. Présence Africaine 169 (2004): 131-136.
  • The Stealers of Fire: The French-Speaking Writers of the Caribbean and Their Strategies of Liberation. Journal of Black Studies 35.2 (November 2004): 154-164.
  • D’autres contributions se trouvent dans les revues: Notre LibrairiePédagogie et CulturePrésence AfricaineRecherche et Revue de Littérature Comparée.

Nouvelles et courts récits:

  • Trois femmes à Manhattan. Présence Africaine 121/122 (1982): 307-315.
  • Ayissé. Soleil éclaté: Mélanges offerts à Aimé Césaire. Jacqueline Leiner, ed. Tübingen: Gunter Narr Verlag, 1984: 81-87.
  • Pays mêlé (recueil de deux nouvelles). Paris: Hatier, 1985. Nouvelle édition avec dix nouvelles: Paris: Laffont, 1997.
  • La châtaigne et le fruit à pain. Voies de pères, voix de filles: Quinze femmes écrivains parlent de leur père. Adine Sagalyn, ed. Paris: Maren Sell, 1988; Complete Narratives of Francophone Caribbean Tales. Rouben C. Cholakian, éd. Lewiston, NY: Mellon, 1996: 151-64.
  • À ma mère: Soixante écrivains parlent de leur mère. Marcel Bisiaux et Catherine Jajolet, eds. Paris: Horay Pierre, 1988.
  • No Woman No Cry. Le Serpent à Plumes (3e trimestre 1991).
  • Les pareurs de morts. Critique 711-712 (août-septembre 2006): 764-773.
  • Liaison dangereuse. Pour une littérature-monde, sous la direction de Michel Le Bris et Jean Rouaud. Paris: Gallimard, 2007: 205-216.

 

Prix et distinctions littéraires:

Ø  1987  Grand Prix Littéraire de la Femme: Prix Alain Boucheron.

Ø  1988  Prix de l’Académie Française.

Ø  1988  Prix Liberatur (Allemagne).

Ø  1993  Prix Puterbaugh, pour l’ensemble de son œuvre.

Ø  1994  50e Grand Prix Littéraire des jeunes lecteurs de l’Ile de France.

Ø  1997  Prix Carbet de la Caraïbe, pour Desirada.

Ø  1998  Membre honoraire de l’Académie des Lettres du Québec.

Ø  1999  Prix Marguerite Yourcenar.

Ø  2001  Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres de la France.

Ø  2004  Chevalier de l’ordre national du Mérite.

Ø  2005  Hurston/Wright Legacy Award (catégorie fiction).

Ø  2006  Certificat d’Honneur Maurice Cagnon Conseil International d’Études Francophones.

Ø  2007  Prix Tropiques.

Ø  2008  Trophée des Arts Afro-Caribéens (catégorie fiction).

Ø  2009  Trophée d’honneur aux Trophées des Arts Afro-caribéens.

Ø  2010  Le Grand Prix du roman métis.

Ø  2011  Grand officier de l’ordre national du Mérite.

Ø  2012  Prix Fetkann de la mémoire.

Ø  2018  Prix de la Nouvelle Académie.

Ø  2019  Grand’Croix de l’ordre national du Mérite.

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