Jean-Baptiste de Traversay, créole martiniquais et ministre de la marine Russe
Jean-Baptiste Prévost de Sansac de Traversay (1754 - 1831) était avant tout un marin, une appartenance à un corps de guerre qui pourrait expliquer le choix d'une patrie, la Russie.
Napoléon regrettait la marine de Louis XVI. Pour la reconstituer, il cherche à récupérer les élites dispersées par la Révolution à travers l’Europe. Traversay en faisait partie et l'aurait, sans aucun doute, ressuscitée. A maintes reprises, le consul l'invite à revenir en France.
L’ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg, le marquis de Caulaincourt l'interpelle ainsi : « Monsieur le marquis, Vous n’avez qu’à dicter les conditions de votre retour, l’empereur Napoléon est prêt à vous donner de très hautes fonctions».
Traversay décline à nouveau l'offre en écrivant ceci :
"Je désire beaucoup ne pas figurer sur la liste des émigrés et je voudrais retrouver ma propriété et tous mes biens en France. Mais mon premier souci est de conserver la confiance de notre Empereur et de montrer que je me considère comme son éternel serviteur. La Russie est maintenant ma patrie, elle m’a préservé du malheur, je devrai toujours lui être reconnaissant et fidèle ainsi qu’aux trois Souverains dont j’ai reçu tant de grâces. En Russie, j’ai reçu la fortune, une épouse, des faveurs et des honneurs qui suffisent pour que je sois toujours au nombre de ses défenseurs et de ses sujets."
Ministre du Tsar, le destin russe de Traversay
Jean-Baptiste Prévost de Sansac de Traversay voit le jour dans le sud de l’île de la Martinique, dans l’habitation du Grand Céron, au Diamant, le 24 juillet 1754. Il est l’aîné d’une famille de neuf enfants dont les parents sont issus de générations de marins conquérants des îles et du continent des Amériques. Bercé dès sa naissance par le rythme irrégulier, imprévisible de la mer allant d’un doux murmure à la violence des houles meurtrières, Jean-Baptiste en connaîtra les moindres caprices et les moindres recoins pour l’accomplissement d’un destin qui fera de lui l’allié militaire, le partenaire politique et l’ami fidèle des tsars russes.
L’enfance créole de Jean-Baptiste de Traversay
Le futur Amiral Ivan Ivanovitch de Traversay, Jean-Baptiste est issu des familles du Poitou d’antique naissance, mais le plus souvent désargentées et dont la notoriété se construit dans les armes aux trois branches : la cavalerie, l’infanterie et la marine. La marine royale est un corps nouveau, créé par Richelieu en 1626 et réorganisé par Colbert en 1669.
Dans les lignées généalogiques de Jean-Baptiste, se distinguent Abraham Duquesne-Guiton (v. 1651-1724), lieutenant général des armées navales et Jean Guiton (1585-1654), amiral rebelle des Rochelais et maire de La Rochelle qui s’est illustré, en 1628, par sa résistance contre Richelieu, lors du célèbre siège de La Rochelle.
Le père de Jean-Baptiste, Jean-François Prévost de Sansac de Traversay (1725-1776) n’échappe pas à la règle des cadets du Poitou. Il entre dans la marine et gravit les échelons jusqu’à devenir capitaine des vaisseaux du Roi, lieutenant-général au gouvernement de Saint-Domingue, puis commandant en second de cette colonie. puis gouverneur de Saint Domingue. Pour les familles du Poitou, les voyages des cadets aboutissaient le plus souvent à Fort-Royal ou au Québec après une première étape à Rochefort.
Le père de Jean-Baptiste s’installe en Martinique et se marie à Claire du Quesne de Longbrun (1738-1808), en 1753. Jean-François de Traversay avait rencontré Claire lors d’une escale de l’Alcide en Martinique. « Il fut touché par ses grâces, sa jeunesse, sa piété, ses excellentes qualités et sa fortune. Ma mère était regardée comme la plus précieuse récompense que le ciel pût accorder aux vertus de mon père qui l’épousa alors qu’elle n’avait que 15 ans, dans la petite église Saint-Thomas, le matin du 3 mars 1753. » écrira plus tard Jean-Baptiste.
Claire étant la fille unique de Pierre du Quesne de Longbrun et d’Elisabeth Chatillon, elle hérite de la vaste habitation du Grand Céron située entre le Diamant et Sainte Luce – Le rhum Duquesne a repris le nom des Du Quesne de Longbrun. Jean-Baptiste passera les cinq premières années de son enfance dans ce domaine. Il assiste aux hostilités des Anglais en 1759, alors qu’il n’a que quatre ans. Ces derniers débarquent sur les côtes de la Martinique avec 6 000 hommes. François de Beauharnais (1714-1800), gouverneur de la Martinique, Jean-François de Traversay et le comte de Morville, commandant les forces navales, organisent une riposte improvisée avec peu de moyens. Cependant, la défense bénéficiait de fortifications dont la pièce maîtresse était le Fort Royal (Fort Saint-Louis) et d’un bon nombre de batteries côtières permettant de tirer à partir des hauteurs. De plus, le relief très coupé et souvent couvert par une végétation dense favorisait les défenseurs d’autant mieux que les régiments venus d’Angleterre étaient habitués à manœuvrer en terrain plat et découvert. Moore et Hopson s’entendirent pour quitter la baie du Fort Royal et reporter l’attaque sur Saint-Pierre, mais dans la rade de Saint-Pierre, après un duel d’artillerie et une tentative de débarquement, Moore et Hopson capitulèrent sans même tenter de détruire les navires marchands mouillés en rade.
L’éducation et la formation dans la marine
Jean-Baptiste de Traversay quitte la Martinique en octobre 1759. Il est âgé d’un peu plus de cinq ans. Son père le place à l’école de Sorèze. La ville de Sorèze est blottie au pied de la Montagne Noire sur les bords de la Sor entre Castres et Mazamet, au nord du Languedoc (dans l’actuel département du Tarn). Les moines Bénédictins de la Congrégation de Saint-Maur administrant cette école, dispensaient un enseignement de qualité ouvert aux sciences expérimentales et aux idées nouvelles de l’époque et étaient porteurs d’une grande réputation parmi les familles créoles telles les Huyghues, Cornette, Le Vassor de Beauregard, Assier de Pompignan.
En septembre 1764, Jean-Baptiste quitte le collège de Sorèze et retrouve ses parents installés à Rochefort, port d’ancrage entre la métropole et les Antilles. Jean-Baptiste de Traversay est admis à l’école des Gardes de la Marine à Rochefort, le 12 janvier 1766, à l’âge de 11 ans et 8 mois (sous le règne de Louis XV). Dès le 1er décembre 1766, Jean-Baptiste embarque pour une initiation à la mer, sur le vaisseau l’Hippopotame, commandé par le capitaine de frégate de Baraudin, qui part de Rochefort faire campagne aux Antilles. Le vaisseau accoste à Fort-Royal le 26 janvier 1767 puis repart le 2 mars pour continuer vers les îles de la Guadeloupe, les Saintes, Marie-Galante, Sainte-Croix, Porto-Rico, direction Saint-Domingue. Le retour à Rochefort se fait le 4 juin 1767.
Jean-Baptiste de Traversay obtient le grade d’enseigne de vaisseau en octobre 1773. Il est alors âgé de 19 ans. Il participe durant les années suivante à diverses campagnes entre la métropole et les Antilles.
Louis XVI monte sur le trône en 1774. Il s’intéresse à l’organisation de la marine impériale et tient à disposer d’une marine défensive capable de protéger le commerce à travers le monde et encourage les expéditions de découvertes et d’explorations scientifiques autour du globe.
Le père de Jean-Baptiste, alors lieutenant général de Saint-Domingue assure l’intérim de ce gouvernement durant l’absence du comte d’Ennery, et s’apprête à lui succéder. C’est la fin de l’été 1776, un terrible orage, s’abat sur l’île et Jean-François de Traversay frappé par la foudre, meurt à 51 ans.
Aux États-Unis, Le Congrès de Philadelphie vote la Déclaration d’Indépendance le 4 juillet 1776. George Washington est nommé général en chef de l’armée des Insurgents et les forces britanniques s’emparent de New York.
De Traversay, héros de la guerre d’indépendance en Amérique
Le combat d’Ouessant opposant la marine de Louis XVI et les Anglais commence le 23 juillet de cette même année pour se terminer le 28 juillet au matin par la défaite des Anglais. Cette victoire sur les Anglais encouragera le ministre de Castries à porter le conflit sur le sol américain sans pour autant abandonner le projet de débarquement en Angleterre. L’amiral de Grasse est désigné pour commander la flotte de Brest et la conduire en Amérique en passant par les Antilles. Leur mission est de porter aide et secours aux « Insurgents » en Amérique et récupérer la Jamaïque pour les Espagnols.
Nous sommes le 22 mars 1781. La flotte Française, composée de plus de 200 bâtiments, sort de la rade de Brest.
Jean-Baptiste de Traversay a reçu le commandement de la frégate l’Aigrette, armée de 26 canons. Trente-six jours après le départ de Brest, la flotte de l’amiral de Grasse arrive avec son lourd convoi marchand en vue de la Martinique. Après une main-mise sur l’île de Tobago reprise aux Anglais, l’escadre se dirige vers Saint-Domingue.
Le rendez-vous est donné aux armées de terre et de mer dans la baie de la Chesapeake au sud de la Virginie où se trouvent les forces anglaises du général Comwallis qu’il faut isoler de tout renfort pouvant arriver par la mer. Le général de Rochambeau se dirigera vers la Caroline du Nord, où sont stationnées les divisions du général Cornwallis tenues en respect par La Fayette. L’amiral de Grasse organise le débarquement des troupes qu’il a amenées. La jonction de ces troupes avec celles de La Fayette qui en prend le commandement s’effectue sans heurt. La manœuvre d’encerclement élaborée par les troupes franco-américaines se déroule sans incident autour du général Cornwallis retranché dans York au fond de la baie.
Sur mer, des Cars et Traversay patrouillent. Ensemble, ils capturent les sloops le Cormoran et le Queen Charlotte, un petit brick et le Loyalist, corvette de 22 canons. Le 5 septembre 1781, le combat commence. Les Français à l’entrée de la Chesapeake occupent une position maîtresse. Dans la nuit du 9 septembre 1781, l’armée anglaise se porte absente. Les amiraux Graves et Hood quittent les rives de la Virginie.
Le 29 septembre, se produit la reddition d’York et la capitulation du général Cornwallis. L’acte officiel est signé le 19 octobre 1781 par le général Washington, commandant en chef des forces combinées franco-américaines, le général de Rochambeau, le comte de Barras, le général lord Cornwallis, et l’amiral Symonds.
Le 2 mai 1782, le roi Louis XVI fait de Jean-Baptiste Prévost de Sansac de Traversay, un chevalier de Saint-Louis.
La bataille navale de la Chesapeake a été déterminante quant à l’indépendance des Etats d’Amérique et Jean-Baptiste de Traversay a participé à cette victoire.
Mais la Jamaïque reste aux mains des Anglais, car la campagne est annulée à la suite des discussions de paix à Versailles. Le traité de Versailles est signé le 3 septembre 1783.
Jean-Baptiste se marie avec Marie-Magdeleine de Riouffe le 1er septembre 1783.
De Traversay au service de l’Impératrice Catherine II
Les troubles révolutionnaires en Europe et plus particulièrement en France feront basculer radicalement le destin de Traversay. Les exécutions menées sous le régime de la terreur s’amplifient. L’amiral d’Estaing et l’amiral de Kersaint vont mourir sous l’échafaud. La marine de Louis XVI est désorganisée et cesse toute activité. Jean-Baptiste, inquiet, installe sa famille en Suisse. Entre-temps, le ministre de la Marine, le comte de La Luzerne, l’informe du souhait de l’Impératrice Catherine II, de l’engager au service de la marine impériale russe au commandement de la flotte à rames en Baltique. Jean-Baptiste accepte après avoir obtenu l’autorisation de Louis XVI. Traversay quitte la Suisse au début du printemps 1791 pour rejoindre Saint Petersbourg.
Dès son arrivée, il est promu par Catherine II au rang de général-major et est affecté au commandement de l’escadre à voiles de la flotte à rames de la Baltique, composée de 7 frégates, 6 chébecks et 1 goélette. Le général-major est sous l’autorité de l’amiral de Nassau-Siegen.
Catherine II a signé le Traité de Värelä avec la Suède, mais elle n’a aucune confiance en Gustave III et les escadres de la flotte de la Baltique doivent manœuvrer armées en mission de surveillance et d’intimidation. Le Prince de Nassau-Siegen étant missionné à Coblence, Jean-Baptiste le remplace et Catherine II le promeut contre-amiral le 4 juillet 1791, c’est-à-dire, deux mois après sa prise de fonctions à Saint Petersbourg.
La période des campagnes achevée, à la fin août 1791, Jean-Baptiste part en mission à Coblence auprès des frères de Louis XVI puis intègre le corps royal de la marine, finalement licencié à Brée en fin d’année 1792, en raison des frais d’entretien trop élevés. Les officiers se dispersent. Jean-Baptiste rejoint sa famille vers la mi-novembre en Autriche.
En janvier 1793, Louis XVI est guillotiné et la Grande Terreur commence en juin 1794. La marine Française a perdu 5000 hommes et 7 vaisseaux lors de la dernière bataille de Prairial contre les Anglais en juin 1794. Quant au château de Traversay, il a été incendié. L’ancien combattant de la guerre d’indépendance américaine, choisit le retour en Russie.
En 1794-1795, le contre-amiral de Traversay est affecté au port de Saint-Petersbourg. En 1795, les escadres de la Baltique sont stationnées à Revel (aujourd’hui Tallinn) sur la mer Baltique où la flotte des vaisseaux de ligne est postée en sentinelle à l’entrée du Golfe, à Rotchensalm où l’importante flotte de chaloupes canonnières fait le guet à mi-chemin entre les ports de Riga et de Saint-Pétersbourg.
Le 6 mars, la naissance d’un second fils coûte la vie de Marie-Magdeleine de Riouffe. l’Impératrice Catherine II est la marraine et selon son souhait, il est prénommé Alexandre.
Le soir du 19 novembre 1796, « Catherine la Grande ou la Sémiramis du Nord » s’éteint, à l’âge de 67 ans, après trente-quatre années de règne sur la Russie.
Le règne du Tsar Paul 1er
Paul Ier est le second souverain russe que va servir le marquis de Traversay. Dès son avènement, il fait preuve d’un esprit éclairé et attentif aux préoccupations de son peuple. Il entreprend des réformes et est convaincu de la nécessité pour la Russie de réorganiser sa marine. Il porte le budget de la Marine à 15 millions.
Paul Ier confère Jean-Baptiste de Traversay de l’ordre de Sainte-Anne de Ire classe par oukase du 17 février 1797 et lui offre une propriété de 6 356 hectares.
Le 30 septembre 1797, Jean-Baptiste est promu vice-amiral et commandant en chef de Rotchensalm. Il épouse Lovisa-Ulrica Bruün le 17 mai 1800.
A l’annonce du débarquement d’une expédition française sous les ordres du général Bonaparte en Égypte, sultanat turc d’Afrique, des bâtiments de guerre russes sortent de la mer Noire, pour se joindre à une escadre turque. Le 1er mars 1799, l’île de Corfou tombe sous les attaques des Russes et des Turcs qui s’emparent de l’ensemble des îles Ioniennes. Fort de cette victoire, Paul Ier invite les gouvernements du Danemark, de Prusse et de Suède à former la Ligue des Neutres sous le nom de Confédération de la Baltique, afin de contrer les Anglais dans la Méditerranée.
Dans la nuit du 11 au 12 mars 1801, le Tsar Paul 1er est assassiné. Son fils, le grand-duc Alexandre lui succède. Il a 23 ans.
Le 14 mars, le marquis de Traversay est nommé amiral.
Alexandre 1er, Bonaparte et le traité de Tilsit
Fin mars, les Britanniques attaquent les Danois. Ils veulent retrouver la liberté dans les mers du Nord et le rétablissement de leur commerce. Les Danois sont contraints de demander l’armistice et quittent la Ligue des Neutres. L’Empereur Alexandre, ne peut commencer son règne par un conflit armé. C’est ainsi qu’en septembre, à Paris, l’ambassadeur russe, le comte Morkov, conclut une convention secrète en vue de consolider la paix de Lunéville qui vient d’être signée.
Bonaparte envisage de récupérer les élites dispersées par la Révolution à travers l’Europe. Certains rentrent en France, d’autres, tels le duc de Richelieu refusent de prêter serment au nouveau régime français et repartent pour la Russie. Tel sera le cas également pour le marquis de Traversay, au service des Tsars avec l’autorisation du roi Louis XVI.
L’amiral de Traversay reçoit le commandement en chef des flottes de la mer Noire le 21 mai 1802.
Le 30 décembre 1806, Anapa déclare officiellement la guerre à la Russie. L’amiral tient prêtes toutes ses unités armées. Le soir, sur ordre de Traversay, le contre-amiral entame des pourparlers mais Anapa n’accepte pas les conditions offertes et le bombardement commence le 29 avril 1807. Les troupes russes pénètrent dans la ville, la ville brûle et ses habitants fuient.
L’Empereur octroie à Jean-Baptiste la croix de Saint-Vladimir.
La Porte Sublime (gouvernement Turc) supporte de moins en moins la présence de la Russie en Géorgie et remet en question ses droits sur cette province. La trêve de Slobodeïsk signée le 24 août 1807 entre la Russie et la Turquie arrête pour quelque temps les hostilités.
Alexandre Ier accepte l’invitation de Napoléon en vue d’un traité. Le traité de Tilsit signé par les deux empereurs comporte 29 articles. Il stipule que « les Sept-Îles (ioniennes) seront possédées en toute propriété et souveraineté par Sa Majesté l’empereur Napoléon » et « que la Russie adhère au blocus continental contre l’Angleterre et la Turquie ». L’ambition de Napoléon est d’obtenir la paix avec l’Angleterre, mais Alexandre 1er n’applique pas le blocus continental.
De Traversay ministre de la marine russe et la défaite de Napoléon
L’amiral de Traversay est appelé à assumer les charges du ministère de la Marine car l’amiral Paul V. Tchitchagoff est souffrant et va prendre un long congé. Il va donc quitter les rives de la mer Noire et rejoindre Saint-Pétersbourg avec toute sa famille. L’amiral Ivan Ivanovitch de Traversay prend la direction du ministère de la Marine en qualité de « gérant du ministère » en septembre 1809.
L'empereur Alexandre renverse sa politique vis-à-vis de Napoléon. La Suède comme la Russie ne désirent pas continuer ce blocus désastreux pour leur économie contre l’Angleterre et Bernadotte emboîte le pas à Alexandre contre Napoléon.
En janvier 1810, le marquis est nommé conseiller d’État et siège parmi les 35 membres du nouveau Conseil de l’Empire.
Depuis son arrivée au ministère, Traversay active la remise en état des flottes, l’augmentation des unités de combat et de surveillance et se penche en même temps sur la formation et l’instruction des officiers de marine ainsi que sur la réorganisation du corps de la Marine.
Nouvel allié d’Alexandre Ier, le Prince régent Charles XIV Jean (Jean-Baptiste Bernadotte), est décidé à contrecarrer les ambitions de Napoléon. Au printemps 1812, Roumiantsev, ministre des affaires étrangères de Russie et Löwenhielm, représentant du ministre des affaires étrangères suédois, le comte Engelström signent un premier protocole d’accord suivi d’un second avec l’Angleterre. À partir de cette triple alliance, Napoléon sera piégé par le blocus maritime Russe, Suédois et Britannique qui va verrouiller le passage vers la Baltique.
Le 6 avril 1812, Alexandre annonce la levée officielle du Blocus continental qu’avait imposé Napoléon. Les troupes finlandaises font barrage devant les armées franco-prussiennes qui veulent franchir la Dwina pour atteindre Riga et de là se diriger sur Saint-Pétersbourg. La Marine contribue largement sur terre à la défense de l’Empire. Tandis qu’une grande partie de la Flotte de la Baltique assure la protection du Golfe et fera le blocus des ports ennemis, l’Équipage de la mer Noire et l’Équipage de la Garde y prennent part en qualité de pontonniers et se battent souvent aux côtés des soldats. L’Équipage de la mer Noire reçoit en juillet 1812 l’ordre du ministre de Traversay de rejoindre l’armée du Danube.
Après l’entrée de Napoléon, le 2 septembre à Moscou, le ministre de Traversay, sur ordre d’Alexandre Ier, fait évacuer documents stratégiques et biens précieux hors de Saint-Pétersbourg. Les armées Russe et turque vont se réunir et encercler l’armée française pour lui couper toute possibilité de retraite.Napoléon apprend que son trône est en danger, il quitte sa Grande Armée qu’il confie au prince Murat et part pour les Tuileries. Alors que les escadres russes sont placées en sentinelle avec les escadres anglaises dans les eaux du Nord, la « Bataille des Nations » se déroule en Saxe, du 16 au 19 octobre 1813. La Russie a retrouvé ses Alliés : le Tsar, les rois de Prusse, d’Autriche et de Saxe à la tête de leurs corps d’armée auxquels s’ajoute un détachement de troupes suédoises, sont réunis sous les murs de Leipzig et mènent une vaste offensive contre Napoléon qui menace à nouveau l’Europe à la tête de la Grande Armée. Napoléon recule vers le Rhin, poursuivi par les troupes alliées qui pénètrent en France. Alexandre commence la campagne de France au début de janvier 1814. Elle dure trois mois. Les Alliés entrent dans Paris. Napoléon abdique le 6 avril 1814 et part à l’île d’Elbe.
Par décret du 8 octobre 1816, le roi Charles XIII de Suède annonce au Chapitre de l’Ordre la nomination de Son Excellence Ivan Ivanovitch de Traversay au rang de commandeur Grand-Croix de son ordre de l’Épée.
Le ministre de Traversay et les explorations maritimes
Le 24 mai 1820, sur la mer Noire, est lancé en présence de l’Empereur dont c’est la première visite dans les ports de la Nouvelle Russie, le navire à vapeur le Vésuve, premier bâtiment de ce genre de la flotte de la mer Noire.
L’ouverture d’une voie à travers l’océan Glacial revêt une importance stratégique fondamentale pour la Russie. Dès 1811, l’amiral de Traversay projette d’organiser deux grandes expéditions maritimes, l’une au nord dans la région arctique, l’autre dans la région antarctique.
L’amiral de Traversay a mis sur pied une nouvelle expédition en juillet 1821 et il a confié la mission à Litké de faire une reconnaissance des côtes de la Nouvelle Zemble, la plus grande île de l’océan Glacial arctique. Le résultat de cette expédition est positif, la carte de la Nouvelle Zemble est enfin réalisée. Le compte rendu de Wrangel qui ne rentre de Sibérie qu’en 1823, permet de réaliser un tracé véritable de la carte des côtes marines, des îles et des zones intérieures du nord-est de la Russie. Wrangel comprend qu’il vient de fournir la preuve définitive de l’existence d’un détroit.
Ce travail d’exploration polaire place les Russes au premier rang dans les découvertes maritimes et permet à Alexandre Ier d’étendre son empire sur les régions boréales et australes.
Le 29 mars 1821 à 6 h 30 du matin, dans la maison du quai des Anglais, s’éteint Lovisa-Ulrica Bruün, marquise de Traversay. L’Empereur Alexandre Ier quitte le monde à son tour, le 1er décembre 1825, à l’âge de 48 ans, emporté par des fièvres et une congestion cérébrale.
Le Tsar Nicolas 1er et la fin du ministère de Traversay
Le marquis Prévost de Traversay se retrouve au service d’un sixième souverain, Nicolas 1er, âgé de 29 ans.
Nicolas 1er signe au printemps 1827, avec la France et l’Angleterre, une Convention d’intervention commune contre la Turquie. Les 26 unités des trois escadres des pays alliés - France, Grande-Bretagne et Russie - totalisant 1 428 canons atteignent les eaux turques à l’automne 1827. L’Azov, commandé par le capitaine de 1er rang Mihaïl Lazarev, a dans son équipage de jeunes officiers dont le fils du ministre de la marine : Alexandre Ivanovitch de Traversay (1791-1850).. La relève de l’amiral Ivan Ivanonovich de Traversay est donc assurée. 21 vaisseaux turcs sont détruits et la victoire de Navarin est remportée contre les Turcs, le 20 octobre 1827.
Alexandre Ivanovitch est promu au grade de capitaine de 2e rang par l’empereur Nicolas 1er.
Le 29 mars 1828, Nicolas Ier démet l’amiral de Traversay, sur la demande de ce dernier, de ses fonctions de ministre. Il conserve son traitement et ses charges de membre du Conseil de l’Empire et de sénateur.
De Louis XV en passant par Louis XVI, la Grande Catherine, Paul Ier, Alexandre Ier et enfin Nicolas 1er, Jean-Baptiste a participé à de grands événements historiques et a permis la continuité, la résistance et le redressement de la marine impériale russe confrontée à de nombreux conflits. Il gardait probablement la nostalgie de la marine royale française, mais le sort en a décidé autrement. Ivan Ivanovitch Prévost de Sansac, marquis de Traversay, ancien ministre de la Marine, sénateur et membre du Conseil d’État, s’éteint le 19 mai 1831, à l’âge de 77 ans, en Russie.
Réf. Bibliographiques : Madeleine du Chatenet, L’Amiral Jean-Baptiste de Traversay – Un Français, Ministre de la Marine des Tsars.
Préface de Jean Tulard - édition numérique diffusée par la société FeniXX au format ePub (ISBN 9782402177160) le 16 mars 2017.
Crédit photo : Ivan Ivanovich de Traversay - Domaine public - — https://vk.com/photo-52196838_456246176