L'inscription de l'IVG dans la Constitution constitue-t-elle une victoire ?
Peut-on vraiment parler de victoire lorsque la liberté d’avorter est confrontée au droit à la vie ? Quels sont les termes inscrits après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution ? Comment ont-ils été choisis ? Quelles conséquences pour la liberté de conscience d’un médecin ?
Toutes ces questions feront toujours l’objet de débats selon les convictions idéologiques, philosophiques ou religieuses de chacun. Quelles étaient véritablement celles de Simone Veil lors de sa proposition de loi en 1974 ?
Son objectif était d’imposer, semble-t-il, une solution d’équilibre afin de combattre un fléau, celui du décès de nombreuses femmes ayant recours aux pratiques des « faiseuses d’anges ».
« Lorsque les médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des services sociaux d'organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l'étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d'anarchie qui ne peut plus continuer. […] Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser. » - Extrait de la déclaration de Simone Veil devant l’Assemblée Nationale, le 26 novembre 1974.
Olivier Marleix, président des Républicains à l’Assemblée nationale, affirme sur LCI, le mercredi 24 janvier 2024 : « Simone Veil elle-même était contre l’inscription de l’IVG dans la Constitution […] Cette loi prévoyait un équilibre, entre la liberté de la femme à procéder à une IVG, mais aussi le respect de la vie de l’enfant à naître ».
Cette loi était donc considérée comme celle de l’exception, celle des situations extrêmes.
Cependant, ces questions nous taraudent toujours. La « vie » nous appartient-elle et a-t-on le droit d’enlever la vie à un fœtus ou à un vieillard en fin de vie pour des motifs extrêmes ?
Il s’agit de lois de fait qui supplantent des lois morales, philosophiques ou d’un Etat de droit. Et parlant d’un Etat de droit, la suppression de celui-ci balaierait la Constitution elle-même…
Quel est le texte approuvant l’interruption de grossesse et ajouté après le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution ?
« La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse. »
Le texte du parti LFI (NUPES) mentionnait "l'effectivité et l'égal accès au droit à l'IVG", alors que le Sénat évoquait la "liberté de la femme de mettre fin à sa grossesse". Pour obtenir un consensus, le terme liberté a remplacé le droit.
Autre remarque : le texte adopté n’est pas introduit dans la Constitution en tant qu'article autonome. Il constitue un alinéa supplémentaire de l’article 34 de la Constitution, celui-ci déterminant le domaine exclusif du pouvoir législatif.
« En effet, il est toujours possible de concevoir qu’une loi limite davantage l’IVG, tout en continuant à respecter le texte constitutionnel. C’est à dire : continuer à garantir la liberté d’avoir recours à l’IVG, mais sous certaines conditions. D’où l’importance de la décision du Conseil constitutionnel de 2001, intégrant l’IVG dans le bloc de constitutionnalité et permettant, le cas échéant, de compléter ce qui, aux termes de cette réforme, ne serait pas suffisamment explicite. » - Constitutionnalisation de l’IVG : portée de la réforme du 4 mars 2024 (site alliancesolidaire.org).
Cette inscription de la liberté à l’IVG n’atteint aucunement la liberté de conscience du médecin. Mais il convient de s’assurer qu’une femme manifestant la volonté d’avorter ait un accès immédiat à une structure lui permettant de le faire sans risques pour sa propre vie.
En conclusion, l’inscription de la liberté de la femme à recourir à l’IVG dans la Constitution vise à marquer les consciences, mais également à prévenir les interprétations abusives, sans toutefois en annihiler les risques éventuels de modifications ou même de suppression des effets légaux.
Aurore Holmes
Photo : L'actrice Emmanuelle Devos dans le rôle de Simone Veil ("La Loi")
Pour en savoir plus :
https://alliancesolidaire.org/2024/03/04/constitutionnalisation-ivg-2024/