Victor Hugo et le déboulonnage

Publié le par Aurore Holmes

Victor Hugo et le déboulonnage

Victor Hugo, illustre écrivain et politicien, fervent défenseur de la justice sociale, des peuples opprimés, de l’abolition de l’esclavage, fin analyste de son temps et de ses vicissitudes, exilé pour ses positions politiques républicaines dans les îles anglo-normandes de Jersey et Guernesey sous le Second Empire, ennemi de Napoléon III, est pourtant actuellement contesté et ses écrits sont analysés comme étant ceux d’un colonialiste.

Pourtant notre jugement ne doit pas s’arrêter à la lumière des connaissances et des points de vue des temps modernes. Un retour sur l’idéalisme libérateur de l’époque de cet écrivain nous permet de mieux en appréhender les contradictions.

Victor Hugo s’insurge contre la peine capitale. Il est celui qui intervient en 1859, en faveur de John Brown, condamné à mort ( ) - abolitionniste blanc américain, partisan des insurrections violentes – par une publication dans le journal «London News». Il écrit :

«On ne fait point de ces choses-là impunément en face du monde civilisé. La conscience universelle est un œil ouvert. Que les juges de Charlestown, que Hunter et Parker, que les jurés possesseurs d’esclaves, et toute la population virginienne y songent, on les voit. Il y a quelqu’un.

Le regard de l’Europe est fixé en ce moment sur l’Amérique. »

 

Mais le texte qui suit le fait apparaître comme un fervent soutien du colonialisme.

Pourquoi ce dualisme, cette schizophrénie de l’intellect ?

Dans son discours du 18 mai 1879 introduit par Victor Shoelcher, il déclare :

«Dieu offre l’Afrique à l’Europe. Prenez-la. Où les rois apporteraient la guerre, apportez la concorde. Prenez-la, non pour le canon, mais pour la charrue ; non pour le sabre, mais pour le commerce ; non pour la bataille, mais pour l’industrie ; non pour la conquête, mais pour la fraternité.»

Ce texte nécessite une analyse plus fine et doit être remis dans un contexte particulier, celui d’une crise sociale aigue ainsi que d’un idéal de partage entre les continents.

Alors que le colonialisme se définit par l’exploitation des peuples et de leurs richesses, Victor Hugo parle de paix, commerce, industrie et fraternité…

Par l’ignorance de l’histoire de l’Afrique, la vision de Victor Hugo s’est emportée. Il est en fait un mondialiste avant l’heure, un mondialiste illuminé, persuadé d’un échange fraternel entre les peuples : «civiliser l’Afrique» et annihiler la pauvreté en Occident.

Il ne s’agit nullement de racisme ou de soumission des peuples, mais d’une vision particulière, conditionnée par le regard, les concepts erronés et enthousiastes de son époque.

L’intelligence, la générosité, un lyrisme qui s’affole vers la certitude d’une mission «divine et civilisatrice» lorsqu’ils sont couplés à l’ignorance sur l’histoire de l’Afrique peuvent certes mener à des erreurs de jugement, mais doit-on en arriver à déboulonner les statues représentant Victor Hugo ?

Il s’agit d’un homme dont l’engagement est humaniste, mais par rapport à son temps. Ses écrits ont réellement contribué à l’abolition de l’esclavage.

Une véritable réflexion sur la complexité des hommes que nous avons érigés en héros devrait primer afin d’en analyser les défaillances, tenir compte des contextes historiques et éviter de tomber dans les pièges d’une mode trop simpliste du déboulonnage.

 

Aurore Holmes

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