Corsaires, pirates et flibustiers des Caraibes, mythes et réalités
Dans le sillage des pirates
Tel est le titre du documentaire historique proposé par Netflix, depuis 2021, sous forme d'une série en six épisodes, retraçant l'âge d'or des pirates en mer des Caraïbes.
La série narre l'âge d'or de la piraterie à partir de 1715, après la guerre de Succession d'Espagne, dans les Caraïbes. Elle y relate les principaux événements vécus autour des Bahamas, par des pirates aux noms célèbres et entre autres : Edward Thatch surnommé Barbe Noire et Black Caesar. Ils pillent, incendient et leurs combats sont sanglants, mais on voit surgir dans ce milieu sans pitié des codes et un certain sens de l'égalité qui ne tient compte ni des origines sociales ou ethniques.
Les acteurs principaux et leurs personnages : Derek Jacoby - Le narrateur, Mia Tomlinson - Anne Bonny, James Oliver Wheatley - Edward Thatch (Barbe Noire), Miles Yekinni - Black Caesar, Sam Callis - Benjamin Hornigold, Tom Padley - Charles Vane, Evan Milton - Samuel Bellamy, Samuel Collings - Paulsgrave Williams, Jack Waldouck - Jack Rackham, George W. Watkins - James Bonny.
L'origine des pirates
- noms des corsaires et pirates en téléchargement en fin d'article -
L'histoire des pirates remonte à l'Antiquité : des groupes de marins commencent à piller des navires marchands en Méditerranée. Cependant, l'époque du Moyen Âge marque un tournant quant à la perception des pirates : ils commencent à émerger en tant que groupe particulier.
Pirates et corsaires ayant le même objectif lors des attaques, la prise d'un navire, d'un équipage ou de marchandises, la distinction entre ces deux catégories a toujours été floue.
Les corsaires sont armés et sont sous le commandement d'un Etat. Ils agissent au nom de leur souverain ou d'un représentant de l'autorité royale ou impériale. Ils naviguent sous un pavillon et ne peuvent attaquer les navires neutres ou compatriotes. Ils présentent des lettres de marque correspondant à une mission bien déterminée. Francis Drake bénéficiait d'une lettre de marque émise par la Reine Elizabetn I, en 1572, qui lui donnait le droit de dépouiller les navires espagnols de leurs richesses.
Par contre, les pirates attaquent et pillent dans les mers en toute indépendance quel que soit le pavillon du navire en face et peuvent s'allier à qui bon leur semble afin de servir leurs seuls intérêts.
Les flibustiers et les boucaniers sont des aventuriers tout aussi redoutables.
Les flibustiers sont des marchands contrebandiers des mers caraïbes, "Sea dogs" ou "Gueux de la mer", surtout anglais et hollandais qui dès le XVIe siècle privilégient les attaques des navires espagnols monopolisant le commerce dans les Amériques. Ils ne seront désignés comme pirates qu'au milieu du XVIIe siècle alors que l'économie de plantation est en plein essor et qu'ils gênent considérablement les échanges commerciaux officiels entre l'Angleterre, l'Espagne et la France.
Des boucaniers rejoignaient de façon temporaire les flibustiers, alors que ces derniers lorsqu'ils étaient fatigués des attaques en mer devenaient boucaniers à leur tour dans une relation d'échanges incessants.
"Installés en petites communautés autonomes, principalement à Saint-Domingue et sur l’île de la Tortue, les boucaniers vivaient de la chasse du bœuf et du cochon sauvages, dont ils fumaient la viande et vendaient les peaux. Constituées de marins déserteurs, de naufragés, de colons appauvris, d’engagés, de renégats, d’esclaves en fuite et de flibustiers fatigués de la course, ces communautés cosmopolites apparurent dès 1630 sur Saint-Domingue." - La Voile noire de Mikhaïl W. Ramseier
Les boucaniers utilisaient un fusil de quatre pieds de canon appelé le « fusil à giboyer » à trois coups. Redoutables combattants et habiles tireurs, ils se positionnaient en haut des mâts d'où ils étaient capables de décimer, à une longue distance, une partie de l’équipage du navire ennemi.
Survol de l'histoire de la piraterie dans les Caraïbes
A la fin du XVe siècle, l'Espagne a le contrôle des routes maritimes vers les Amériques. L'ensemble des territoires comprenant l'Amérique centrale, le Mexique et les îles caribéennes était appelé Nouvelle Espagne.
Chaque année, un convoi composé de vaisseaux marchands et de navires de guerre partait de Séville ou de Cadix, transportant des passagers et des marchandises de l'Ancien monde vers le Nouveau Monde. Au retour, le convoi ramenait des cargaisons d'argent et de pièces de monnaie vers l'Europe. Bien évidemment, le retour de la flottille intéressait les pirates au plus haut point. Leur stratégie consistait à attaquer les navires qui s'étaient trop distancés des autres et devenaient plus vulnérables.
Au cours du XVIe siècle, sous l'époque des huguenots, les marchands et les colons anglais, français et hollandais soutenus par leurs souverains respectifs, refusèrent de respecter le traité de Tordesillas (1494) partageant le Nouveau Monde entre Portugais et Espagnols, pour envahir ces territoires. Ainsi naquirent la course ponantaise et la course des caraïbes favorisées par les guerres opposant la France et l'Espagne et la guerre anglo-néerlandaise (1652-1654).
Les Anglais et les Espagnols reconnaissent officiellement leurs possessions respectives dans les Caraïbes et décident de mettre fin aux attaques de pirates. Ceux-ci deviennent plus rares et flibustiers anglais et français rejoignent les mers du sud ou se retirent.
La flibuste renaît durant la Guerre de la Ligue d'Augsbourg en1688-1697 et la Guerre de Succession d'Espagne (1701-1714), cette dernière entraînant un grand nombre des marins de la Royal Navy vers la flibusterie.
L'âge d'or de la piraterie dure jusqu'en 1722, éradiquée par le nouveau gouverneur des Bahamas Woodes Rogers.
Edward Thatch et Black Caesar
Le documentaire Netflix "Dans le sillage des pirates" montre-t-il une version romancée des relations entre Edward Thatch surnommé Barbe Noire et Caesar ? Ils paraissent fonctionner en parfait duo et d'égal à égal.
Des historiens ont affirmé que corsaires et pirates, du moins certains, respectaient des codes de vie sociale et ont pu établir des "Républiques de pirates" où tous les membres étaient strictement égaux indépendamment de leurs origines sociales ou ethniques.
Tout homme même impitoyable et sanguinaire fait partie de notre Humanité.
Et voici une parenthèse sur ces quelques lignes :
"Je suis [...] Timba l’esclave africain. Je suis Jean de La Fosse, Taïna la Caraïbe, Jeanne la putain, Laurent le corsaire [...]
Je fleuris de leurs mille racines, qu’elles viennent d’Europe, d’Afrique, d’Amérique ou d’Asie. Qu’elles viennent de plus loin encore, du temps où les pays n’avaient pas de nom. Et qu’elles aillent bien après moi, fleurir l’avenir, portant autant de bagages que de projets.
Ce sont les racines du Tout-monde, celles démultipliées du rhizome qui prolonge nos personnalités dans le champ fécond des relations. Celles qui nous constituent par leur diversité, à l’heure ou d’autres voudraient s’en amputer." - Emmanuel de Reynal, extrait p. 42-43, UBUNTU Ce que je suis,
La République des pirates
Les pirates avaient besoin de lieux où se reposer, où se cacher des autorités en tant qu'individus hors-la-loi et également partager leur butin. Les bases situées à proximité des circuits maritimes empruntés par les navires marchands, cibles des pirates, ou encore, à proximité d'un détroit, étaient privilégiées. Elles devaient être un endroit sûr où l'équipage pouvait se protéger des intempéries. Leurs hauts-fonds permettaient à leurs navires d'être facilement carénés alors que les grands navires de guerre ne pouvaient y accéder que très difficilement.
Les Caraïbes, parsemées de criques cachées et d'îles inhabitées, constituaient une région de prédilection.
Le principal repaire et centre de l'âge d'or de la piraterie était Nassau, sur l'île de New Providence, dans les actuels Bahamas (Caraïbes). Après que le gouverneur anglais a perdu le contrôle du port, une puissante république pirate s'y développa, financée par le butin amassé par les grands pirates de l'époque, anciens corsaires déserteurs ou désabusés - Benjamin Hornigold, Charles Vane, John Rackham (Calico Jack), Samuel Bellamy ( Black Sam), Edward Teach (Barbe Noire) et Bartholomew Roberts (Black Bart)., à partir de 1706 et jusqu'en 1718.
Règles de vie sociale et codes
Contrairement à ce qui serait attendu d'aventuriers sans foi ni loi, la plupart des pirates obéissaient à un code d’honneur qui leur était propre,
En premier lieu, la gestion de leurs navires ainsi que leurs stratégies d'attaques exigeaient de la discipline. Ils devaient organiser des tours de garde, attribuer les tâches de navigation et gérer les provisions d'alimentation et d'habillement. Certains équipages, interdisaient les jeux de hasard, les combats et la consommation d'alcool.
"De telles règles étaient souvent approuvées par tout l'équipage qui, à son tour, élisait leurs capitaines. Cette organisation est remarquablement différente des arrangements hiérarchiques sur les navires de guerre. Les équipages de pirates étaient souvent hautement méritocratiques. Les membres les plus qualifiés - ceux qui avaient des connaissances nautiques ou la forte personnalité nécessaire pour maintenir l'ordre parmi les rebelles nés - gravissaient rapidement les échelons, quels que soient leur origine ou rang social." - Maria Lara Martinez - Qui étaient les vrais pirates des Caraïbes ? Pirates, corsaires et boucaniers ont semé la terreur dans les Caraïbes pendant près de 300 ans, National geographic.
L'un des codes de pirates le plus célèbre est celui de John Roberts dit Le Baronnet Noir ou Bartholomew Roberts, considéré comme étant l'un des plus cruels pirates. Ce personnage est également des plus mystérieux quant à ses origines. Il est décrit "grand, beau et noir". Il n'existe aucune trace de lui jusqu'en 1718 et apparaît soudain lorsqu'il est le second d'un sloop de la Barbade.
I. Chaque pirate pourra donner sa voix dans les affaires d'importance et aura un pouvoir de se servir quand il voudra des provisions et des liqueurs fortes nouvellement prises, à moins que la disette n'oblige le public d'en disposer autrement, la décision étant prise par vote.
II. Les pirates iront tour à tour, suivant la liste qui en sera faite, à bord des prises et recevront pour récompense, outre leur portion ordinaire de butin : une chemise de toile. Mais, s'ils cherchent à dérober à la compagnie de l'argenterie, des bijoux ou de l'argent d'une valeur d'un dollar, ils seront abandonnés sur une île déserte. Si un homme en vole un autre, on lui coupera le nez et les oreilles et on le déposera à terre en quelques endroits inhabités et déserts.
III. Il est interdit de jouer de l'argent aux dés ou aux cartes.
IV. Les lumières et les chandelles doivent être éteintes à huit heures du soir. Ceux qui veulent boire, passé cette heure, doivent rester sur le pont sans lumière.
V. Les hommes doivent avoir leur fusil, leur sabre et leurs pistolets toujours propres et en état de marche.
VI. La présence de jeunes garçons ou de femmes est interdite. Celui que l'on trouvera en train de séduire une personne de l'autre sexe et de la faire naviguer déguisée sera puni de mort.
VII. Quiconque déserterait le navire ou son poste d'équipage pendant un combat serait puni de mort ou abandonné sur une île déserte.
VIII. Personne ne doit frapper quelqu'un d'autre à bord du navire ; les querelles seront vidées à terre de la manière qui suit, à l'épée ou au pistolet. Les hommes étant préalablement placés dos à dos feront volte-face au commandement du quartier-maître et feront feu aussitôt. Si l'un d'eux ne tire pas, le quartier-maître fera tomber son arme. Si tous deux manquent leur cible, ils prendront leur sabre et celui qui fait couler le sang le premier sera déclaré vainqueur.
IX. Nul ne parlera de changer de vie avant que la part de chacun ait atteint 1000 livres. Celui qui devient infirme ou perd un membre en service recevra 800 pièces de huit sur la caisse commune et, en cas de blessure moins grave, touchera une somme proportionnelle.
X. Le capitaine et le quartier-maître recevront chacun deux parts de butin, le canonnier et le maître d'équipage, une part et demie, les autres officiers une part et un quart, les flibustiers une part chacun.
XI. Les musiciens auront le droit de se reposer le jour du sabbat. Les autres jours de repos ne leur seront accordés que par faveur.
D'où viennent les pirates des caraïbes ?
"Ces pirates étaient pour partie originaires de nombreux pays européens, dont l'Angleterre, la Hollande, la France, l'Espagne et le Portugal. Mais la majorité des équipages étaient originaires de pays anglophones, dont beaucoup étaient nés dans les colonies du Nouveau Monde, notamment la Jamaïque, la Barbade et les Bahamas. Un nombre considérable de pirates étaient d'origine africaine. L'équipage de Barbe Noire était à 60 % noir et deux navires pirates, dont les capitaines sont inconnus, étaient presque à 100 % noirs." - Maria Lara Martinez - Qui étaient les vrais pirates des Caraïbes ? Pirates, corsaires et boucaniers ont semé la terreur dans les Caraïbes pendant près de 300 ans, National geographic.
On doit citer l'excellent article de Jeremy Young : Les marins noirs dans la Royal Navy au XVIIIe siècle, Bulletin de la Société d'Histoire de la Guadeloupe, Numéro 177, mai–août 2017.
Cet article émet l'hypothèse d'un recrutement par tous moyens et notamment par la force, pratiqué par la Royal Navy, de marins quel que soit leurs origines et incluant des marins noirs et métis libres, esclaves ou affranchis.
"Ainsi, pour combler le déficit, la Royal Navy avait souvent recours à une autre méthode de recrutement, l’ « Impressment ». Cela consistait en une véritable chasse au marin. [...] Avec la pratique de telles méthodes de recrutement, il serait possible d’envisager que la Royal Navy n’ait pas recruté que des marins Européens mais ait fait le nécessaire pour recruter tous les marins possible. Cela semble particulièrement capital dans les théâtres d’occupation lointains comme l’Amérique ou l’Inde et cela d’autant plus qu’il fallait également remplacer les marins malades ou blessés. Ainsi il apparait possible que la Navy ait cherché des méthodes de recrutement parallèles et notamment un éventuel recrutement de marins noirs, que ce soit des hommes libres ou des esclaves." - Jeremy Young.
Pirates et généalogie génétique
A moins de renier l'une ou plusieurs de nos ramifications généalogiques, il est fortement probable que nombre ou du moins certains des habitants des Caraïbes descendent des corsaires ou pirates qui sévissaient dans ces régions dès le XVe siècle. Et certains d'entre eux ne transportaient pas uniquement de l'or, de l'argent, des bijoux, mais également des individus esclavisés. John Hawkins étant le plus célèbre d'entre eux ainsi que John Roberts décrit comme étant "grand et noir" ainsi que d'autres personnages...
"Devenu l’un des plus riches marchands d’Angleterre, Hawkins est poursuivi pour piraterie par l’Espagne. Mais Hawkins n’a rien à craindre. Il sait bien que la reine a besoin de marins expérimentés pour défendre l’Angleterre lorsque la guerre deviendra inévitable. La reine le prend à son service et le nomme trésorier de sa flotte de combat (De Wismes, i 999. 97) Cette conversion du pirate Hawkins, devenu assez puissant, en marchand d’esclave et trésorier de la flotte royale, accompagne la dissolution du monopole espagnol sur le commerce atlantique. Progressivement, les pirates se font complices du système esclavagiste pour financer l’établissement des plantations sucrières en Jamaïque et à Saint-Domingue (Moreau, ooo6, i27)" - Michael Hennessy-Picard, La piraterie atlantique au fondement de la construction des souverainetés coloniales européennes, OpenEdition Journals.
Noms des corsaires et pirates du 16e au 18e siècle