Hans Jonathan, esclave danois et l'interdiction des analyses adn en France

Publié le par Aurore Holmes

Hans Jonathan, esclave danois et l'interdiction des analyses adn en France

Qui est Hans Jonathan ? Son histoire en a fait un personnage important en Islande au point que des chercheurs ont reconstitué son génome ou patrimoine génétique grâce à ses descendants.

En effet, une étude a été menée conjointement par l’entreprise islandaise deCODE Genetics et l’université d’Islande auxquels se sont joints Jean-Michel Dugoujon (laboratoire d’anthropobiologie moléculaire et d’imagerie de synthèse, CNRS, Toulouse) et Florence Migot-Nabias de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD, Paris) ainsi que des chercheurs du Portugal. Les résultats ont été publiés dans un article du 15 janvier 2018 de la revue Nature Genetics.

Une étude pionnière qui a permis d’éclaircir les origines africaines de Hans Jonathan et démontrant qu'il est possible de reconstruire partiellement le génome d'un homme décédé depuis près de 200 ans en analysant uniquement le matériel génétique de ses descendants.

Nous avons choisi le cas de cette étude génétique de Hans Jonathan afin de questionner dans une deuxième partie l'interdiction des analyses génétiques "à but lucratif" inscrite dans la loi en l'article 16-10 du Code Civil français.

Photo de couverture : Le petit-fils de Hans Jonathan.

Hans Jonathan est né le 12 avril 1784 dans les Caraïbes, sur l’île de Sainte-Croix, alors colonie appartenant au Danemark. Sa mère est Emilia Regina, alors réduite en esclavage sur l'habitation d'Henrietta Cathrina Schimmelmann épouse d’un haut membre du gouvernement des Indes occidentales danoises. Son père serait d'origine danoise.

En 1788, le gouverneur Schimmelmann rentre à Copenhague avec sa famille et quelques esclaves, dont Emilia Regina. Hans rejoint sa mère au Danemark en 1792. où il reçoit la même éducation que les enfants de ses maîtres.

Hans s'enfuit du domicile des Schimmelmmann et le 2 avril 1801, il prend part héroïquement à la bataille navale de Copenhague puis est intégré dans l’équipage d’un navire danois. Henrietta Schimmelmann ne voit pas cette liberté d'un bon œil et obtient malgré l'inexistence de l'esclavage au Danemark, par un jugement de la Cour provinciale de Copenhague une autorisation de déportation vers l'ïle de Sainte-Croix. Hans disparaît. On retrouve sa trace au printemps 1802 en Islande. Il épouse une Islandaise, Katrín Antoníusdóttir, en 1820, avec qui il a deux enfants. Il meurt en 1827. L'étude scientifique dénombre 788 personnes en Islande et aux États-Unis dont l'ancêtre commun est Hans Jonathan.

Les chercheurs ont identifié le chromosome Y de Hans Jonathan en utilisant l'adn d'un descendant patrilinéaire de sixième génération. Il appartient à l’haplogroupe I, absent dans les populations africaines et principalement présent en Europe. Le père d’Hans Jonathan était bien d’origine européenne. Ils découvrent également des segments d’origine africaine sur le chromosome X d’un descendant de cinquième génération et provenant d'Emilia Regina. Ces résultats génétiques correspondant aux données généalogiques.

Le génome d'Hans Jonathan est donc partiellement reconstitué, puis par comparaisons statistiques, est associé aux populations d’Afrique de l’Ouest, tout particulièrement des Yoruba du Bénin.

Il faut noter que cette étude scientifique a bénéficié d'une documentation généalogique islandaise très bien connue grâce à l’Íslendingabók (le livre des Islandais), base de données retraçant le lignage de tous les citoyens islandais et résidents légaux d’Islande depuis le IXe siècle.

Nous avons choisi de relater ce cas puisqu'il est lié à l'histoire des Antilles en général et particulièrement à ses ruptures généalogiques autant du côté européen (père souvent absent ou inconnu) que du côté de l'ascendance africaine. En dehors de l'étude purement scientifique, il existe cet aspect émotionnel de la connaissance génétique et historique de l'un de ses ancêtres qui prend une place définitive dans notre mémoire et dans notre lignée généalogique.

Mais Hans Jonathan, s'il était né dans l'une des îles françaises des Antilles, cette étude aurait été impossible de par l'article 16-10 du Code Civil français.

Afin de reposer notre plaidoirie sur des articles de droit (même si nous ne sommes pas juristes), nous souhaitons rappeler des faits de l'Histoire de France liés aux ruptures généalogiques des Antilles.

D'une part la pièce manuscrite de Pierre Belain d'Esnambuc s'adressant au Ministère de Richelieu alors sous les ordres de Louis XIII, alors qu'il fixe le drapeau de la monarchie sur l'île de la Martinique avec ces termes :

« Monseigneur,

[...] « Celle-ci sera pour vous donner avis, Monseigneur, que j’ai habité l’île de la Martinique le premier jour de septembre mille six cent trente cinq, où j’ai planté la croix, et fait arborer le pavillon de France et vos armes, sous votre bon plaisir. J’y ai fait un fort, dont je vous envoie un petit plan qu’il vous plaira d’excuser s’il n’est tracé comme je désire, n’ayant en ces lieux gens assez experts pour y servir Votre Éminence. Il vous plaira voir la possession que j’ai prise, ensemble la commission que j’y ai laissée en attendant vos ordres, Monseigneur. [...] 

« Le plus humble, obéissant, affectionné serviteur et sujet.

« D’Esnambuc.

« De votre île de Saint-Christophe, le 12 novembre 1635.

D'autre part, les interdictions de mariages mixtes imposés par les articles 5 et 6 des Edits de 1723 et 1724 (Code Noir) :


« Défendons à nos sujets blancs de l’un et de l’autre sexe de contracter mariage avec les Noirs, à peine de punition et d’amende arbitraire, et à tous curés, prêtres ou missionnaires séculiers ou réguliers, et même aux aumôniers des vaisseaux de les marier ; défendons aussi à nos dits sujets blancs, même aux Noirs affranchis ou nés libres, de vivre en concubinage avec des esclaves ; voulons que ceux qui auront un ou plusieurs enfants d’une pareille conjonction, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, soient condamnés chacun en une amende de trois cents livres ; et s’ils sont maîtres de l’esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons qu’outre l’amende ils soient privés tant de l’esclave que des enfants, et qu’ils soient adjugés à l’hôpital des lieux, sans pouvoir jamais être affranchis ; n’entendons toutefois le présent article avoir lieu lorsque l’homme noir affranchi ou libre qui n’était pas marié durant son concubinage avec son esclave, épousera, dans les formes prescrites par l’Eglise, ladite esclave, qui sera affranchie par ce moyen, et les enfants rendus libres et légitimes. »

Nous rappelons également que les analyses génétiques à but lucratif sont autorisés dans tous les pays sauf la France, la Corée du Nord et l'Iran.

Nous retranscrivons quelques arguments de la jurisprudence européenne sur l'autonomie et l'épanouissement personnel des individus, extraits du Mémoire de droit privé international de Claire Brunerie. La commercialisation des tests génétiques. Droit. 2019. dumas-04381433

"Aux Pays-Bas ou au Portugal, la connaissance de ses origines est un droit légitimé par le principe de dignité et le développement personnel. La Cour EDH s’en est inspirée en consacrant un droit à tout individu à connaître ses origines. Elle l’a indirectement fait dans un arrêt du 26 mai 1994117 pour le consacrer pleinement dans l’affaire Odièvre c/ France118. Elle s’appuie, entre autres, sur l’épanouissement personnel et le droit au respect de la vie privée. À titre d’exemple, en 2006, les juges de Strasbourg ont permis à un enfant de demander le prélèvement ADN sur le cadavre de son père biologique prétendu, en vue d’établir la vérité alors que la famille du défunt s’y opposait119. La Cour EDH a ainsi fait prévaloir l’intérêt de l’enfant sur celui du respect du corps humain120. La création prétorienne se poursuit à travers l’arrêt Mandet c/ France121, dans lequel la Cour affirme que l’intérêt supérieur de l’enfant est de connaître la vérité sur sa filiation biologique [...]"

"La Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) a permis l’émancipation de l’individu par rapport à l’État. Ainsi, il est possible de justifier la commercialisation à travers deux principes prétoriens que sont l’autonomie personnelle, engendrant le principe de libre disposition de son corps, et l’épanouissement personnel qui permettrait le libre accès à son information génétique."

"La Commission européenne des droits de l’Homme a permis l’émergence du concept d’autonomie personnelle. Dans l’affaire Brüggeman et Scheuten c/ RFA82, la Commission affirmait que « le droit au respect de la vie privée assure à l’individu un domaine dans lequel il peut poursuivre librement le développement et l’accomplissement de sa personnalité ». En 1981, dans l’affaire X c/ RFA, la Commission ajoutait que « certaines personnes peuvent ressentir le besoin d’exprimer leur personnalité par la manière dont elles décident de disposer de leur corps »83. C’est ainsi aux individus qu’intervient le choix, ou non, de faire ce qu’ils veulent avec leur corps."

"L’autonomie personnelle permettrait la justification empirique de la commercialisation. Cette idée est renforcée par la place que les juges de Strasbourg octroient au patrimoine génétique de l’individu. En ce sens, dans l’affaire Parillo c/ Italie, les juges affirment que « le patrimoine génétique d’un individu représente une partie constitutive de la personne et de son identité biologique »88. Même si les faits ne concernent pas spécifiquement les tests EAL, l’arrêt permet d’envisager le matériel génétique comme partie intégrante de la sphère privée de chacun. Au titre de l’autonomie personnelle, quelles limites pourrait-il y avoir à l’exploitation de son identité biologique ? L’individu mène sa vie comme il l’entend, même s’il décide d’exposer ses caractéristiques génétiques à la connaissance de tous."

"L’épanouissement personnel se caractérise par le fait que « l’individu doit avoir le choix de vie qui lui correspond »91. À ce titre, l’accès à l’information génétique proposé par les tests EAL répond aux besoins que l’individu peut avoir de se connaître lui- même92. Il est fait référence à l’information génétique secondaire caractérisée par « un renseignement nettement lié à la personne qui l’identifie »93. Ainsi, l’épanouissement personnel se définit aussi bien par l’accès à l’information génétique médicale (A) que par l’accès à l’information génétique social."

 

Bien entendu, les arguments qui précèdent n'excluent en aucun cas un encadrement strict évitant les éventuelles dérives résultant d'utilisations frauduleuses des données génétiques.

 

Réf. bibliographiques : 

https://planet-vie.ens.fr/thematiques/genetique/genetique-formelle/d-ou-venait-le-premier-islandais-d-origine-africaine

https://www.nature.com/articles/s41588-017-0031-6

Claire Brunerie. La commercialisation des tests génétiques. Droit. 2019. dumas-04381433

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