Asameni, histoire complexe des Akwamus contre les Danois

Publié le par Aurore Holmes

Christianborg castle (Ghana)

Christianborg castle (Ghana)

Asameni et l'héritage esclavagiste du Ghana

 

Ulysse est le héros de l’Odyssée, écrits mythologiques d’Homère. Roi d’Ithaque de la Grèce antique, il s’illustre en se cachant à l’intérieur d’un cheval en bois, pour assiéger la ville de Troie (identifiée par l’Unesco comme étant localisée sur le site d’Hissarlik, sur la côte ouest de la Turquie). Ulysse était également appelé « l’homme aux mille tours », sa force étant les stratagèmes inventés pour vaincre ses ennemis. Un autre guerrier est célébré jusqu’à nos jours au Ghana. Il s’agit du prince Asameni (ou Asamani) de l’ethnie Akwamu. Il acquit sa célébrité en assiégeant en 1693, également par la ruse, le château de Christianborg, alors occupé par les colons Danois.

Rachel Ama Asaa Engmann, ethnologue et archéologue ghanéenne, chargée du projet archéologique sur le site du château de Christianborg (ou château d’Osu), classé au patrimoine mondial de l’Unesco, s’est particulièrement intéressée au siège organisé par le prince Asameni sur l’une de ses pages web intitulée : « Résistance et collaboration – Asameni et les clefs du château de Christianborg à Accra ».

Rachel Engmann est une descendante directe de Carl Gustav Engmann, gouverneur du château entre 1752 et 1757 et uni à Ashiokai Ahinaekwa, issue d’une famille royale ghanéenne. Ces unions afro-européennes étaient très pratiquées afin de s’assurer les accès aux routes commerciales de l’intérieur du continent.

L’ethnologue Rachel Engmann précise sur sa page web « Des esclavagistes dans la (ma) famille : les révélations d’un château sur l’histoire du Ghana » :

« Prioriser les récits familiaux relatés par les descendants directs ainsi que les histoires qu’ils reconstruisent permet de donner un éclairage particulier sur des épisodes peu connus sur l’histoire et les héritages de la traite transatlantique. En même temps, cela révèle les complexités des politiques du passé dans notre présent. 

Ensemble, nous réécrivons l’histoire.»

Cette remarque constitue une parenthèse sur laquelle nous reviendrons plus loin.

 

L’histoire d’Asameni, Ulysse du château de Christianborg

Le château de Christianborg fut construit entre 1659 et 1661, par les colons Danois sur un terrain octroyé par le roi de l’ethnie Ga du Ghana. Des guerres intestines opposèrent l’ethnie Ga et l’ethnie Akwamu. Ces derniers organisèrent des raids de capture d’esclaves afin de déstabiliser le royaume Ga qui fut vaincu en 1677. Vers 1680, l’ethnie Akwamu prit le contrôle des routes de l’esclavage, de l’intérieur vers les côtes, conquit la ville d’Accra (alors appelée Jamestown) et fixait le taux des loyers obtenus des Européens occupant les forts.

Les Akwamus commencèrent à élaborer des stratégies pour se saisir des bâtiments européens. Le château de Christianborg était un lieu où s’échangeaient des esclaves, des armes, des munitions, de la liqueur, des vêtements, des outils en fer, des objets en cuivre, des perles en verre, de l’or et de l’ivoire.

Asameni, membre de la famille royale Akwamu, marchand et guerrier déjà reconnu, prit donc la décision de prendre le contrôle du château par la ruse. Il maniait la langue danoise avec aisance et s’introduisit dans le domaine en se présentant comme cuisinier et traducteur. Il étudia le site, les occupants et leurs mouvements, les départs et arrivées des bateaux, tout en répertoriant aussi les négociants, marchands ainsi que tous ceux qui travaillaient et visitaient le château.

Puis un jour, Asameni informa les Danois qu’il allait accompagner un groupe de négociants Akwamu qui souhaitaient acheter des munitions. En 1693, Asameni et quatre vingt prétendus négociants pénétrèrent dans le château. Etant donné qu’il était coutume de tester les marchandises avant de les acheter, les hommes eurent accès aux munitions. Mais ils avaient également d’autres armes cachées sous leurs vêtements. Ils lancèrent donc une attaque contre les Danois qui ne les suspectaient pas. Ce fut une bataille sans merci. Le gouverneur d’alors, Janssen, put s’échapper de justesse vers le Fort Crevecoeur se situant à proximité.

Statue d'Asameni (Accra, Ghana)

Statue d'Asameni (Accra, Ghana)

Asameni s’auto-proclama « gouverneur », remplaça le drapeau danois par le drapeau akwamu et occupa le château avec ses hommes pour commercer avec les négociants de diverses nations.

En 1694, Asameni revendit le fort aux Danois pour une valeur approximative de 666,920.00 dollars actuels, mais il ne rendit jamais les clés. Ces clés sont toujours, à l’heure actuelle, la propriété du groupe ethnique des Akwamu et sont considérées comme un trophée, un symbole de résistance des Akwamus contre les Danois. Une statue en bronze, représentant le prince Asameni, le « brillant stratège », tenant les clés du château, a été érigée en son honneur et rénovée en 2013.

L’ethnologue Rachel Engmann et descendante du gouverneur esclavagiste Danois Carl Gustav Engmann précise le rôle ainsi que la perception des Akwamus, durant le 17e siècle, sur cet épisode historique :

L’histoire d’Asameni et des clés du Château de Christianborg révèle les complexités de l’implication des africains durant la traite transatlantique, particulièrement en termes de résistance et de collaboration. La résistance Akwamu aux Danois dans le château n’était pas dûe au fait qu’ils étaient contre la traite transatlantique. Leur résistance ne constituait pas un acte moral ou éthique. Bien au contraire les Akwamus ont collaboré avec les Danois. Les actions des Akwamus ne concernaient que la façon dont la traite transatlantique était menée. Le trousseau de clés, composé de 26 clés en argent, est une preuve matérielle de la prise de contrôle du royaume Akwamu sur les Danois et de leur objectif de dicter les termes du commerce des esclaves et de l’or, entre eux et les européens.

Les clés du château de Christianborg (Ghana)

Les clés du château de Christianborg (Ghana)

Aussi, lorsque Rachel Engmann, en vue de ses recherches archéologiques actuelles, rapporte les propos qui suivent, au moment où elle est reçue au palace Bogyawe, fief actuel des Akwamu et qu’elle demande anxieusement, semble-t-il, à voir les clés du château de Christianborg, elle nous donne un aperçu de la conscience historique présente de l’ethnie Akwamu, très éloignée de nos analyses éthiques sur l’esclavage :

Oui, vous pouvez voir les clés du château. Mais vous devez obtenir un rendez-vous et revenir un autre jour. Après tout, maintenant que nous savons qui vous êtes, et par rapport à ce que nous savons, il me semble que vous êtes venue récupérer les clés pour les ramener au Danemark !

Ces paroles révèlent un attachement à des objets symboliques, marqueurs de puissance et signifient que si nous jugeons cet épisode de l’histoire des Akwamu à travers nos valeurs éthique actuelles, nous supprimons un vaste volet de l’histoire africaine impliquée dans l’esclavage ainsi que la considération de leurs ancêtres qu’ils se remémorent comme un récit qui n’est autre que celui de vainqueurs et de vaincus.

Rachel Engmann semble, elle, en conséquence de ses recherches, avoir un regard critique sur cette histoire tout en étant capable de faire la part des choses, en évitant d’être complexée par ses héritages à la fois africains et européens.

 

Aurore Holmes

 

Réf. Bibliographiques :

 

Contested heritage and absent objects: Archaeological representation at Ghana’s forts and castles, Rachel Engmann, The Oxford Handbook of Museum Archaeology, edited by Alice Stevenson, pp.197-220, 2022,

https://theconversation.com/resistance-and-collaboration-asameni-and-the-keys-to-christiansborg-castle-in-accra-120006

https://theconversation.com/slavers-in-the-family-what-a-castle-in-accra-reveals-about-ghanas-history-104172

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