J'ai lu pour vous Ti Prince
Ti-Prince (Editions du Panthéon), un roman de Emmanuel de Reynal. Dans le quotidien d'une vie marquée par le sceau de la différence, se dessine la question du droit à l'existence de ceux que l'on regarde comme "autres" et pas comme "nous"...
J’ai lu « Ti-Prince » de Emmanuel de Reynal
Ti Prince, un récit se déclinant en intensités émotionnelles, celles qui sans crier gare, vous étreignent à la gorge. Dès la première page, la première ligne, les premiers mots, les premiers instants, le premier souffle de vie, notre regard de lecteur, étrangement surpris, se confond avec celui d’une mère aimante et anxieuse qui en donnant la vie, s’inflige un combat contre la mort, et désormais, une lutte contre l’intolérance.
Le roman s’impose d’emblée non seulement par sa rareté thématique mais aussi grâce à l’angle par lequel l’auteur, Emmanuel de Reynal, nous invite à percevoir l’intériorité d’un enfant, puis d’un adulte marqué du syndrome de down. Une intériorité bousculant nos certitudes, nos logiques cartésiennes parfois formatées et souvent ballotées dans un monde ensauvagé laissant si peu de place aux élans d’empathie et d’affection. Le monde des « gens normaux » est en question. Ils ont érigé le quotient intellectuel comme référence absolue de la valeur d’un être humain, référence implacable et glaciale dont nous avons pourtant conscience de l’absurdité et de l’inconsistance.
Ti-Prince est un roman troublant par la force d’amour qui s’en dégage, troublant par ses protagonistes qui se densifient par la relation d’affection nouée avec le personnage principal, ou bien à l’opposé sont rendus insignifiants, basiques, caricaturaux lorsqu’ils se campent sur un comportement de mépris, d’indifférence ou de haine.
L’écrivain, Emmanuel de Reynal, démontre un talent remarquable en entraînant le lecteur dans l’expérience du je, de la première personne trisomique qui relate les évènements parcourant sa vie de la naissance à la mort. Mais le je, c’est vous, c’est nous, tout un chacun affrontant les regards implacables des autres dans sa différence. Nonobstant la connaissance que l’élégance du verbe ne peut appartenir qu’à l’auteur, nous sommes envahis par la personnalité de Ti-Prince, une personnalité sensible, fragile, rêveuse, mais consciente d’une enveloppe qui l’emprisonne.
Au-delà du roman retentit un message philosophique et sociétal sur le respect de la vie humaine, un respect qui se délite dans un monde s’enfonçant dans les radicalités d’opinions où l’être différent est exclu.
Ti-Prince est un roman à la fois tendre et impitoyable, à savourer et plus encore, à dévorer sans réserves.
Aurore Holmes